A propos
«Les enfants ne peuvent apprendre à connaître qu’après avoir éprouvé le plaisir d’imaginer.»1 René Diatkine
Je fais partie de ces adultes qui lisent un livre uniquement
quand ils sont en vacances, le reste du temps, lire reste
une activité difficile, quoique nécessaire. Cette difficulté
n’est pas nouvelle et certainement en lien avec une dysphasie diagnostiquée au cours de mon enfance.
Je me souviens, lorsque je lisais, de cet ensemble
de mots et de lignes qui me paraissait interminable.
Suivre et essayer de comprendre exigeaient de moi
une extrême concentration.
Pour autant, cela ne m’a jamais empêché d’adorer
les livres, en particulier les albums pour la jeunesse,
ceux que mes parents me lisaient et que je pouvais suivre
à partir des belles illustrations, d’autres encore que
je prenais plaisir à toucher, manipuler, découvrir.
Mon intérêt pour les livres dédiés à la jeunesse n’est
pas uniquement lié à mes souvenirs d’enfance. Il est aussi
clairement associé à ma pratique de designer graphique
et de mon travail d’étudiante en tant que garde d’enfants
en périscolaire.
Introduction
«Rien de pire pour un livre que de n’être pas pris en main. Il a beau se poser là, avec sa couverture, son format, son épaisseur, tant que personne ne le touche, il n’est qu’un objet inerte et muet. Son sésame à lui, c’est: "Ouvre-moi!"»2 Liliane Cheilan
Se pencher sur la question des albums et de leur lecture, c’est toucher des supports d’une impressionnante diversité d’aspects, qui mobilisent le langage des formes, des couleurs, des textures et des rythmes. C’est aussi, découvrir des nouveaux modes de traitement de l’album, favorisés par des progrès techniques, et se détourner du format classique. Le rapport premier avec le livre est physique, manuel. Le livre est un objet que l'on saisit, que l'on ouvre, et referme, dont on tourne les pages. Il suffit d’ouvrir un livre pour qu’il se mette à vivre. Parfois, il s’exhibe: pliage, tirette, accordéon, pages déroulantes, pop-up d’images qui apparaissent et disparaissent… L’album explore une diversité d’expressions plastiques. Il est le lieu de tous les possibles. Le livre jeu, livre forme, livre sculpture, livre matière, où images et textes cohabitent, conçus d’abord pour les enfants, fournissent un terrain propice au questionnement sur l’apprentissage. Il est intéressant de montrer comment certains albums, par les formes inédites qu’ils proposent, suscitent une initiation au livre par l’expérience. Ainsi, ces réflexions me mènent toujours vers l’envie de mieux comprendre le propos que délivre l’album grâce à l’implication du lecteur dans la relation entre le texte, l’image et le support. Que ce soit quand j’étais enfant ou aujourd’hui dans ma pratique de designer, manipuler pour apprendre, me guide depuis toujours. Passer par la manipulation d’éléments afin de comprendre le propos qu’ils délivrent, me semble essentiel. Et parmi les nombreuses fonctions du designer, celles en lien avec l’éducation, la sensibilisation aux images, aux formes, m’intéressent particulièrement.
L’hypothèse de travail retenue pour entreprendre
ce mémoire a été la suivante: si le livre permet d’aborder
le plus de dimensions possibles de l’être humain (intellectuel, émotionnel, sensoriel, moteur), il permettrait, par ailleurs à l’enfant de se découvrir par ses propres facultés.
Pour cela, et en dehors de la trame de l’histoire narrative, de son image et de sa lecture, il existerait d’autres qualités qui favoriseraient cette découverte où, l’éditeur, l’auteur, l’illustrateur, ou même parfois le designer, pourrait être des acteurs d’un désir éditorial.
Pour identifier ces qualités, dans le vaste champ des livres
pour enfants, j’ai réuni divers albums qui présentent des
caractéristiques plastiques autres : des livres qui mènent
l’enfant à considérer le livre qu’il tient entre les mains
comme une nouvelle expérience singulière du livre et
de la lecture.
L'album et ses parcours
Le terme «album» renvoie souvent à un ensemble
d’ouvrages dans lesquels l’image est prédominante3
et fonctionne, s’accorde en étroite collaboration avec le texte
lorsqu’il y en a.
En anglais, on insiste sur la présence des images puisqu’on
parle de «Picture book»4. Dans la langue française,
on trouve sous cette même appellation de «livres
d’images», une multitude de recueils de photographies,
de documentaires, de bandes dessinées, des livres de la
littérature jeunesse… Le terme est vaste et peut englober
plusieurs sous-catégories.
Selon Isabelle Nières-Chevrel5, le terme «album»
aurait deux sens : il désignerait d’abord «l’ensemble des
livres pour enfants dans lesquels l’image prime sur le texte.
Il désignerait également— à l’intérieur de ce domaine
éditorial global— ces livres dont les effets de sens reposent
sur les interactions du texte, de l’image et du support, et qui
sont ce que l’on appelle des "iconotextes "».
D’un point de vue général, on peut considérer l’album
comme un héritage du livre illustré6 dans lequel le texte et
l’image sont séparés chacun y occupe une page. Toujours
selon Isabelle Nières-Chevrel, l’album libère l’image d’un
espace limité à la page, envahissant le texte et le concurrençant dans ces fonctions narratives et didactiques.
L’image ne se contente plus d’illustrer, elle complète,
précise, explique, ou apporte un contrepoint. L’écrit luimême peut devenir image typographique. Le support se dévoile dans de nouvelles formes variées. L’album est
en effet un objet littéraire et plastique spécifique, articulant textes et images dans l’espace de la page.
Sophie Van Der Linden ajoute au propos d’Isabelle
Nières-Chevrel, que la pluralité de l’album peut être identifiable à un genre à part entière. Elle le considère
comme une forme d’expression particulière, avec
ses codes, son organisation interne qui le différencie
d’autres livres d’images. Dans «L’album, le texte et l’image»,
elle insiste aussi sur l’interaction texte/image et sur la
liberté formelle: «Un support d’expression dont l’unité
première est la double-page, sur lequel s’inscrivent, en
interaction, des images et du texte, et dont l’enchaînement
de page en page est articulé. Il tire la grande diversité de
ses réalisations de son mode d’organisation libre entre texte,
image et support»7.
L’album est donc une forme littéraire à part entière
qui appelle un mode de lecture qui lui est propre, la clé
du récit ne se trouvant ni entièrement dans l’écrit, ni
entièrement dans l’image, mais dans le lien que le lecteur
tisse entre les deux et l’interprétation qu’il en fait.
Il ne suffit pas de caractériser uniquement
l’album, comme une combinaison de textes et d'images.
Les encres, le papier, sa texture, son format, les plis et
la reliure: tous ces éléments ont quelque chose à dire.
L’album montre qu’il peut servir de support au texte
aussi bien qu’aux images, qu’il peut s’adresser à des bébés
sachant à peine se tenir assis, qu’il transmet aussi bien
un savoir que des œuvres littéraires.
De nombreux livres permettent, par la manipulation
de formes, de comprendre ce qui se passe dans une image
et dans un signe typographique. Dans un album, se met
en place un dialogue entre la poétique de la manipulation
du livre et l’esprit ludique et graphique du contenu.
Il permet un moment riche, formateur, intense et joyeux
pour le regard et la lecture.
À l’aide d’un corpus d’albums jeunesse élaboré autour
de mes interrogations ou faisant partie de mon premier
patrimoine littéraire, j’aborderai ces questions : comment
reconnaitre un album jeunesse? Quels sont les matériaux
de l’album? Comment l’expérience sensible dans un
album jeunesse peut-elle faciliter la compréhension de
la lecture? Comment le design peut-il contribuer à cette
interaction entre l'enfant et l’album? Dans quel contexte
les enfants peuvent-ils partager une expérience sensible
du livre?
Le texte dans les albums jeunesse
L’historique de l’album met en évidence une évolution de la place du texte dans ce type d’ouvrage. C’est au XIXe siècle que la littérature jeunesse apparaît uniquement à travers des livres illustrés. Le texte y était très présent, voire même essentiel dans la mesure où il constituait l’unique instance de la narration. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Le texte est souvent présent, mais il ne semble plus indispensable. Ainsi, sa présence est très variable. Il peut se résumer à quelques mots comme c’est le cas dans les albums destinés aux tout-petits ou, au contraire, prendre la forme d’un long texte dans les albums réservés aux lecteurs avancés. Il peut aussi s’inscrire dans différents genres littéraires qu’il s’agisse d’un conte, d’un récit policier, d’une poésie, etc.
L’absence de texte n’est pas systématiquement une absence de discours, et le sens du récit peut apparaître sous d’autres formes. Celles-ci peuvent par exemple, évoquer leur signification à l’oral ou par la manipulation du livre, ou par des sons. Lorsqu’il est présent, le texte constitue une aide pour l’accompagnant lecteur (parent/ animateur/enseignant), qui devrai trouver la bonne intonation ou le bon ton de lecture en fonction, notamment, de la ponctuation. En effet, l’une des spécificités de l’album est d’être destiné à être lu à haute voix à un enfant qui n’aurait pas encore accès à la lecture et cela se manifeste dans l’organisation spatiale du texte. Il est très souvent dispersé sur la double page afin de faciliter et de rythmer la lecture orale. Ces caractéristiques ne sont pas exhaustives et il est largement possible que l’enfant manipule seul l’album. Bien avant l’accès à la lecture du texte, il construit lui-même ses histoires selon les formes, les images, ou le système.
Le texte d’album donne un ton, une mélodie, un rythme
et un registre de langue à l’histoire, par sa structure,
son organisation, son contenu. Il constitue pour l’enfant
qui sait lire, un repère dans la narration et lui procure
un certain plaisir au moment de la lecture.
Les auteurs et les illustrateurs mélangent souvent
avec succès poésies, berceuses, chansons et comptines
traditionnelles, aux créations d’aujourd’hui dans des
albums où des images drôles, jouent en écho avec les
rimes, les rythmes, les sonorités et les formes linguistiques.
Ces petits récits servent à jouer, à rire, à goûter à la saveur
des mots et des choses, et à prendre du plaisir à le lire
seul ou à plusieurs.
Je me souviens d’un livre quand j’étais enfant, que je demandais régulièrement à lire le soir avant de me coucher, c’était Loup y es-tu? de Sylvie Auzary-Luton [Fig.1].
C’est un album cartonné de seize pages, construit à partir
de la comptine bien connue Promenons-nous dans
les bois. Il pose la question de la présence ou non du loup
dans les bois, mais c’est aussi l’une des nombreuses comptines qui énumèrent les différentes étapes pour s’habiller :
«Je mets ma culotte ! […] Je mets ma chemise ! […] Je mets
mes lunettes !». Il met en scène cinq petites filles, le loup,
des animaux sous forme de petites vignettes et un texte
assez gros réparti sur les pages de gauche.
Les illustrations se situent en vis-à-vis du texte et le
décrivent en redondance. Au fil des pages, nous nous promenons dans les bois, la peur est portée à son paroxysme
juste avant la surprise finale, lorsqu’un retournement
complet de la situation provoque rire et soulagement.
Le loup apparaît alors en gentil et vieux loup, habillé
tout en couleurs, qui n’attend qu’une chose, de pouvoir
partager des jolies histoires de loup avec les enfants.
Plaisir et peur ont cheminé ensemble, au rythme de
la préparation vestimentaire et du cours du récit.
Fig.1 Sylvie Auzary-Luton, Loup où es-tu?, École des loisirs, 1ère édition, 1993
Dans les albums publiés aujourd’hui, le texte est généralement assez bref. L’image occupe la place centrale sur
l’ensemble de la page, voire de la double page. Un texte
qui serait trop long romprait le fragile équilibre que met
en place l’album entre le rythme de lecture du texte et
celui de la découverte de l’image. La lisibilité est souvent
un point mis à l’honneur par les auteurs s’adressant
à un lectorat débutant. Les caractères sont relativement
gros et espacés pour inciter le déchiffrage et favoriser
la compréhension du texte. Un texte trop chargé peut
constituer un obstacle et engendrer du découragement hez un enfant qui rencontrerait des difficultés dans
l’apprentissage de la lecture. Au-delà de ces caractéristiques générales du texte dans l’album, il n’a pas le même
rôle ou le même statut dans tous les albums. Il est possible
de distinguer différentes fonctions du texte vis-à-vis de
l’image. Sophie Van der Linder dans L’album le texte et
l’image8, évoque un éventail des possibles de mise en page
qui peut s’organiser autour de trois pôles :
• Redondance (illustrer parfaitement ce que dit
le texte),
• Complémentarité (texte et image participent
ensemble à l’élaboration du sens),
• Dissociation (sens du texte et de l’image divergent).
Dans l’album Titi à Paris de Grégoire Solotareff, textes et
images se complètent [Fig.2]. Toute l’histoire repose sur
le ressenti de Titi, la petite souris qui part à Paris pour
trouver une vie plus amusante.
La couleur dans le livre souligne toutes les émotions
que peut vivre Titi: par exemple, le rouge montre le
découragement et la colère quand Titi a faim dans Paris
et se fait attaquer par des pigeons. Le texte alors complète
les images et apporte des précisions. Dans cet exemple,
l’image et le texte participent ensemble à l’élaboration
des sens.
Grégoire Solotareff, Titi à Paris, école des loisirs, 2008
Dans l’album Le nuage bleu de Tomi Ungerer, la redondance entre texte et images est totale [Fig.3].
Ils convergent ensembles dans leurs expressions respectives. Le texte confirme le sens aux images ou renforcer
l’histoire que suggèrent les illustrations. Dans cet album,
l’artiste a surtout voulu exprimer l’importance de la différence et de l’acceptation de l’autre en racontant l’histoire
d'un nuage bleu. Celui-ci est rejeté par les autres nuages
jusqu’à ce qu’un jour, sa différence va permettre de sauver
toute une ville en guerre, où plusieurs ethnies se battent
les unes contre les autres. Il se sacrifie et se met à pleuvoir
sur la ville. Tout devient bleu: les maisons et les habitants
qui, ne voyant plus leurs différences de couleurs, arrêtent
de se battre.
Fig3a
Fig 3. Tomi Ingerer, Le nuage bleu, écoledes loisirs, 2000.
Les albums de jeunesse, le texte peut être présent
mais ce n’est en aucun cas une obligation. Ainsi l’album
La visite de Junko Nakamura est un livre sans texte:
L’image emmène le lecteur dans un mouvement où il
passe de l’univers des enfants à celui des chats [Fig.4].
La couverture montre la porte d'une maison et d'autres
indices, discrets. De double-page en double-page, on se
promène au parc en compagnie d'une famille tandis qu'un
chat blanc passe au loin. Ici un chat noir, là quelqu'un
au piano, là encore, un sapin de Noël. Des gros plans
nous montrent la maison du chat noir, de l’extérieur
et de l'intérieur. Puis a lieu une étrange visite dans
la maison rouge: la chatte blanche y est reçue pour le thé
par le chat noir mais ils ont tous les deux des habits et
des attitudes d'humains. Il lit une lettre, elle regarde par
la fenêtre. Pendant ce temps, la séance familiale au parc
se termine, la famille va bientôt rentrer.
La lumière occupe une place centrale et participe
au mouvement de la vie qui se joue sous nos yeux.
Les retrouvailles des enfants et du chat nous rendent
témoins du retour à la réalité.
Les albums sans texte, comme celui-ci, incitent à se poser
des questions et proposent des esquisses de réponse
incomplète que chacun interprétera à sa guise.
Lorsque le texte existe, il ne peut imposer une forme
de vérité à l’image. Cependant, parfois le texte et l’image
peuvent ne pas avoir le même statut. Le lecteur peut en
savoir plus que le narrateur et les personnages représentés dans l’image, grâce aux informations d’un narrateur.
Fig4a
Fig 4. Junko Nakamura, La visite, éditions Mémo, 2016
L’image dans les albums jeunesse
Dans un album de jeunesse, le texte n’est jamais l’unique
porteur de sens et la lecture ne suffit pas toujours à
appréhender l’intégralité de l’univers que l’auteur a voulu
transmettre. En effet, si une partie du récit est transcrite
par le texte, les illustrations apportent bien souvent,
d’autres éléments de signification. Au-delà, de son intérêt
esthétique, l’image par un détail, par sa place, par la forme
qu’elle prend, les couleurs qui sont utilisées, peut faire
l’objet d’une analyse fine autrement qu’un texte.
Il y aurait donc deux instances narratives dans l’album.
Isabelle Nières-Chevrel distingue le narrateur verbal9
pour l’histoire racontée par le texte du narrateur visuel
ou iconique10 pour l’histoire donnée à voir par les images.
Texte et image construisent donc conjointement le sens
du récit. Il y a là un jeu d’interactions sur lequel nous
allons revenir. L’image n’est pas uniquement là pour expliquer ou éclairer le texte, elle a aussi sa propre existence.
L’utilisation de l’image dans les albums est comme
un pré-langage 11, pour un enfant qui ne sait pas encore
lire, et l’image participe à la compréhension de l’histoire.
L’image est une forme d’interprétation du réel, elle permet de le traduire en scènes et en signes. Elle permet d’évoquer des souvenirs de la réalité, partager un quotidien et construire une culture commune. Lucie Félix dans Prendre
et donner, part d’un principe très simple et interactif
[Fig.5]. Le livre qui s’adresse aux tout-petits, propose de
jouer pour découvrir la notion de contraire. La première
page suggère à l’enfant de se saisir d’une forme en carton,
un rond rouge, sous laquelle est écrit «prendre».
À la page suivante, on lit «donner» et l’enfant, en plaçant
la forme dans l’emplacement prévu qui figure la paume
d’une main, mime l’action de donner. Suivent les notions
«ouvrir/fermer», «apparaître/disparaître»… À la fin du
livre: surprise! «Disperser»: on prend deux demi-cercles
rouges, puis «réunir», et on retrouve un rond rouge qui
est devenu une pomme, etc.
Prendre et donner un imagier d’actions qui fonctionne
sur le principe du puzzle à encastrement. L’enfant donne
sens au livre par son geste, et ce que fait l’enfant, correspond au mot et à l’image présent dans l’album. C’est ainsi
une manière d’aborder par l’album et la manipulation
de formes, des actions du quotidien.
Fig5a
Fig 5. Lucie Félix,Prendre et donner, éditions Les Grandes Personnes, 2014
Dans un album, rien n’est laissé au hasard et surtout pas les illustrations dont la composition, la taille, la forme, la couleur, le style, le point de vue sont réfléchis afin d’orienter le jeune lecteur dans le récit sans pour autant l’enfermer dans une signification trop précise. Le texte et l’image sont complices, collaborent, se contredisent sans se perdre de vue. Chacun garde son autonomie et sa spécificité. Le texte et l’image constituent chacun de leur côté un langage à part entière: le premier dans ses fonctions narratives, descriptives, rythmiques ; la seconde dans son impact visuel, ses qualités suggestives et sensorielles.
Quand Isabelle Nières-Chevrel, qualifie l’album d’iconotexte, elle désigne un «système cohérent»12 à trois «dimensions»: l’image, le texte et le support. Barbara Bader, quant à elle, définit la relation entre le texte et l’image comme une interdépendance, c’est-à-dire une interaction qui permet de produire du sens : «Le texte génère des images mentales et les images suscitent des mots»13. Le récit global émerge de leur mise en relation. Les albums illustrés des contes traditionnels sont bien des albums au sens éditorial du terme, néanmoins le contenu textuel se suffit à lui-même. L’illustrateur n’apportera généralement qu’une lecture interprétative du récit. Alors que dans les iconotextes, on peut trouver des albums narratifs, des albums animés ou même des albums sans texte. Ils se caractérisent par l’utilisation d’un triple langage, celui du texte, celui de l’image et celui du support, devenus indissociables.
La mise en page
La mise en page possède un rôle primordial dans le sens
de la lecture de l’un ou l’autre des langages.
Sophie Van Der Linden la considère comme une
forme d’expression particulière, avec ses codes14, son organisation interne qui la différencie d’autres livres d’images.
Le rapport texte-image y est orchestré de manières
diverses selon les auteurs et d’un album à l’autre.
Parfois, texte et image occupent des espaces nettement
séparés, sur deux pages.
Parfois, ils occupent deux espaces de la même page.
Parfois, ils semblent se répondre. Ils peuvent être séparés,
assemblés, alternés.
Une seule image peut aussi occuper tout l’espace disponible, à fond perdu.
Lorsque nous ouvrons un album jeunesse, on remarque
sa structure, héritage du codex. Il se présente comme
un assemblage relié de feuilles : deux pages articulées
autour d’une charnière centrale qui fait sens. La reliure
peut servir d’axe de symétrie, être le lieu d’une ellipse,
produire un effet de miroir et bien d’autres choses encore.
Lorsque texte et image cohabitent sur l’espace de
la page, l’ampleur du texte, sa disposition et sa présentation agissent également sur son appréhension.
Cependant, souvent, la taille des textes, leur présentation et surtout l’articulation narrative avec les images
ne permettent pas de définir une priorité de lecture.
Le lecteur effectue de multiples rapides va-et-vient entre
le texte et l’image, dont les fonctions respectives interagissent. L’exploration de l’image et du texte demande une
construction du sens qui agit dans le temps.
Dans l’album Regarde dans la neige d’Emiri Hayashi, textes
et images cohabitent sur une double page [Fig.6]. Le texte
est systématiquement découpé en deux sur la double
page. La lecture commence par lire au-dessus à gauche,
puis on explore l’image située sur l’ensemble de la double
page pour ensuite lire la deuxième partie du texte en bas
à droite. Il y a donc ici, une priorité à la lecture voulue par
l’auteur, au fil des pages. Le texte est accompagné par un
petit lapin, l’enfant va pouvoir le suivre dans le paysage
enneigé. On retrouve le petit lapin gris, tactile et tout doux
par sa matière feutré — à chaque double-page et on aime
l’effleurer du bout de nos doigts. Le format de l’album
(26x26 cm) et les larges illustrations colorées, feutrées et argentées immergent l’enfant dans l’histoire. Cet album
sollicite les sens par l’exploration de l’image, du texte,
mais aussi du support. Il a un rôle ludique car il incite
l’enfant à compter les animaux et les flocons de neige,
et à comprendre à qui appartient chaque trace d’animal.
Entièrement cartonné, donc bien solide, Regarde dans
la neige permet de faire de multiples lectures et de manipulations pour éveiller les tout-petits.
Fig6a
Fig 6. Emiri Hayashi, Regarde dans la neige, éditions Nathan, 2012.
La force des albums pour tout-petits est de proposer une grande abondance d’informations, d’organisation, dont la chronologie peut parfois nous échapper, pour laisser le lecteur opérer ses choix et ses parcours propres.
À la lecture d'un roman, notre œil parcourt les lignes d'écriture de la gauche vers la droite et de haut en bas, d'abord sur la page de gauche puis sur celle de droite. Dans la bande dessinée, la planche s'organise généralement sur l'espace d'une page, permettant de parcourir successivement des vignettes selon un parcours déterminé. Dans l'album (et c’est aussi le cas pour certains livres d’artiste), l'organisation des différents récits ne respecte pas nécessairement le cloisonnement par page. Pour autant, la double page comporte une division incontournable: la reliure. Soit elle se trouve ignorée par les créateurs, soit ils composent avec cette séparation de la double page. L'enjeu est alors de réussir à faire dialoguer ces deux espaces de représentation. Les illustrateurs peuvent s'appuyer sur la reliure pour organiser un système de correspondances ou d'écho d'une page à l'autre.
Ainsi le livre Clap de Madalena Matoso [Fig.7], propose
une lecture qui incite le lecteur à lire avec son corps : les
indications données par le texte et les images sont supposées être mises en œuvre physiquement par le lecteur.
Dans la première double-page, un musicien de fanfare
tient dans ses mains, bras ouverts, des cymbales.
Le texte en onomatopées dit «doiiing». Le lecteur est
invité à replier le livre pour «entendre» les cymbales
claquer. Sur une autre page, il y a un homme, la main
levée à gauche, une porte à droite, et sur la porte «toc,
toc, toc» nous renseignent sur l’intention, le geste et
le bruit. De l’autre côté de la porte, un homme et trois
enfants répètent à l’envi «qui est là», quatre fois,
et regardent dans le judas. On s’aperçoit alors qu’en
plus des indications à suivre pour comprendre le sens
des images et du texte, il y a un jeu avec l’espace de
la page. Néanmoins, l’auteur de ce livre a voulu questionner l’objet-livre dans le rapport entre les gestes représentés, les onomatopées et les gestes attendus, mais à part
la répétition enclenchée, il n’a pas construit une histoire
ou un récit. C’est peut-être ici la limite de ce livre-jeu.
Fig7a
Fig 7.Madalena Matoso, Clap Clap, Notari, 2015
Alternance de pages de textes et d'images, juxtaposition des messages verbaux et visuels sur la page, séquence de vignettes ou entremêlement des énoncés sur la double page,etc. L’album est le lieu d’expérimentations non seulement pour les lecteurs, mais également pour les créateurs. La mise en page permet de jouer avec la taille des messages, leur forme, l'inscription en arrière-plan,etc. En fonction de la narration ou de l'effet recherché, le créateur positionnera les images ou les textes de manière à tirer parti de son support, pour transmettre son récit.
Le support
Pour autant, un album ne se résume pas à l'interaction de textes et d'images. Il présente en outre une organisation fortement liée à un support. Et ce support, c'est en premier lieu l'objet livre. L'album montre une grande diversité dans ses réalisations. Matérialité et formats y sont particulièrement variés, répondant d'une part à des usages et à des publics et d'autre part à des choix éditoriaux et expressifs. L’album offre son espace aux créateurs, qui vont l’investir tout entier, de la couverture à la page de garde, en passant par tous les feuillets et doubles pages qu’il contient.
Formats
En parcourant les rayons «jeunesse» des bibliothèques
ou des librairies, on peut vérifier qu’il existe une véritable
multiplicité de formats. Les dimensions sont très variables,
qu’il s’agisse des petits formats intimes ou des très grands
formats favorisant une lecture d’échange.
«Le format est partie intégrante et capitale d’un
ouvrage, il est le territoire de l’action, il en définit
les limites.»15
Dans son Introduction à la littérature de jeunesse16, Isabelle
Nières-Chevrel avance l’idée que le format entre en relation sémantique avec la fiction développée dans l’album.
Pour accompagner ce propos, on peut faire le parallèle entre l’album Animaux autour du monde [Fig.8] de Ingela P.Arrhenius et Bonjour [Fig.9] de Corine
Chalmeau. Ingela P.Arrhenius utilise le grand format (34x46 cm) pour
représenter un imagier d’animaux. À titre d’expérience du
livre, mon neveu d’un an, est fasciné devant ces grands
animaux qui prennent place sur des pages entières.
Il utilise parfois le livre comme une cabane pour se protéger de ces grands animaux. Le grand format permet ainsi
de représenter des animaux à grande échelle. Sa taille fait
du livre un véritable objet d’aventure qui invite l’enfant
à entrer dans son champ et à s’y installer physiquement.
Fig8a
Fig 8.Ingela P.Arrhenius, Animaux autour du monde, Marcel et Joachim, 2019.
Fig 9.Chalmeau Corine, Bonjour, édition Albin Michel, 2000.
Le petit format apporte une autre logique des proportions.
En effet, il est particulièrement adapté aux petites mains
du lecteur. Corine Chalmeau a créé une collection «Mon
petit doigt m’a dit» dont l’album Bonjour. La main s’invite
dans l’histoire du livre. C’est un album (de 12x12 cm) à trou
pour que l’enfant joue avec ses doigts comme dans des
situations quotidiennes pour dire "bonjour".
Si le livre était plus grand, l’enfant pourrait difficilement participer à l’histoire, car il ne pourrait pas le tenir
dans ses mains et glisser en même temps ses doigts.
En observant plus précisément ces deux albums, on peut
conclure, en effet, que la dimension d’un livre possède
sa part d’importance sur le mode d’actions engagée.
À l’origine du développement de la littérature jeunesse,
à partir du XVIIe siècle, le même format est le plus souvent
adopté, la forme rectangulaire et verticale semble être
la mieux adaptée à la lisibilité du texte, dans la lignée
traditionnelle du codex.
Au départ, l’image ne provoque pas de changements dans
le format, mais peu à peu, vers le début du XIXe
siècle, apparaissent des variations. Le format comporte deux particularités : tout d’abord, les dimensions de la surface,
mais également la proportion entre largeur et longueur.
Comme ailleurs, dans l’édition, deux grandes familles
de formats se côtoient.
• Le format «à la française», continue la tradition des
livres illustrés qui font la part belle au texte imprimé.
• Le format «à l’italienne» dit aussi oblong, quant
à la découverte, met le livre dans la continuité
des carnets de dessins romantiques.
Il existe aussi d’autres formats :
Une aventure tout en parcours et déplacement requiert
un format horizontal comme dans L’ogre, le loup, la petite
fille et le gâteau, en 1995 de Philippe Corentin [Fig.10].
Le format horizontal permet un langage de type cinématographique avec une évolution chronologique et spatiale visible au premier coup d’œil.
Fig10a
Fig 10. Corentin Philippe, L’ogre, le loup, la petite fille et le gâteau, école des loisirs, 1995.
Singulier, le format carré, popularisé par les éditions
du Rouergue, à la fin du XXe siècle, marque l’entrée
de l’album dans la modernité. Son utilisation permet de
nombreuses compositions, propice à autant d’expérimentations en utilisant la règle des tiers17. Cette règle renforce
l’harmonie des compositions, et le format permet la mise
en valeur de compositions centrées, symétriques et/ou
géométriques.
L’album peut aussi facilement devenir un format oblong
grâce à l’utilisation de la double page.
Plasticiens, photographes et designers utilisent plus
couramment le format carré. Ce choix donne à penser que
ce format est privilégié par des personnes qui se préoccupent plus particulièrement du rendu visuel et des choix formels. Dans Morse où es-tu? de Stephen Savage, compositions aux géométriques et épurées, les personnages
sont représentés par des formes géométriques et des
aplats de couleurs [Fig.11]. Ce format permet également
une prise en main aisée par un enfant lecteur. Il facilite
les manipulations sollicitées par les mises en page et
permet, par exemple de pivoter l’ouvrage pour le lire.
Il existe aussi des formats plus spécifiques, des formats
en découpe. Leurs formes induisent généralement l’histoire qu’elle contient, voire participent à celle-ci.
Ils sont principalement produits pour les tout-petits.
Fig11a
Fig 11. Savage Stephen, Morse où es-tu? Paris, L’école des loisirs, 2011.
On peut citer par exemple la collection des aventures
de Miffy, de Dick Bruna [Fig.12]. Le petit lapin Miffy, héros
du livre est facilement identifiable: le visage composé
d’une petite croix pour la bouche et de points pour
les yeux, avec ses grandes oreilles blanches.
Les éditions Tourbillon ont conçu l’album en épousant
la forme des contours de Miffy dans le format. Ainsi,
le jeune lecteur à l’impression d’observer directement
Miffy se mouvoir dans chacune des aventures.
Fig12a
Fig 12. Dick Bruna, Miffy à la maison, éditions tourbillon, 2014.
La richesse des formats d’album ne s’arrête pas là,
les artistes ont ajouté des formats ronds, triangulaires,
des méli-mélo ou d’autres ouvrages importés d’autres
cultures tels que le leporello, un format dit en accordéon,
à la manière des carnets chinois ou selon le mot italien qui
fait allusion au valet de Don Juan et de sa longue liste de
conquêtes, pliée en accordéon, dans le premier acte
de l’opéra Don Giovanni de Mozart.
En parallèle du format, se trouve également la couverture
et les pages de garde qui possèdent une fonction matérielle précise. La couverture est le premier contact
du lecteur avec le livre en tant qu’objet. Elle est le lieu
de toutes les séductions, là où le contact va se nouer ou
non avec l’œuvre.
Avant d’être choisi, l’album est effleuré, porté et feuilleté:
la couleur, la texture, le poids du livre détermineront aussi
le choix final.
Matérialité: matériaux, textures et couleurs, systèmes
Depuis le début de l'invention de l'album, les auteurs,
les illustrateurs et les éditeurs ont fait preuve de créativité pour rendre ce livre attrayant pour les lecteurs.
Le parti-pris est facilité par les progrès techniques de
l’imprimerie.
Aujourd’hui, grâce à l'utilisation d’ordinateurs et
des logiciels de traitement de textes et d’images, d'appareils photo, de scanners, de presses, de découpes, de plus
en plus complexes et à une grande quantité de matériaux
et de techniques disponibles, les créateurs peuvent
expérimenter par de multiples moyens.
Matérialité et formats sont particulièrement variés,
répondant d'une part à des usages et à des publics différents et d'autre part à des choix d'expressions spécifiques.
La matérialité du livre engage un véritable usage,
des albums en cartons, par exemple, sont orientés principalement pour les tout-petits afin de garantir un objet
suffisamment résistant pour être manipulé et exploré.
Le type de papier choisi participe aussi pleinement à
l'expression, comme les feuilles de calque dans
Le Brouillard de Milan de Bruno Munari [Fig.13].Il conçoit
la matérialité de l’objet comme un outil de narration.
Il explique, à propos des Livres illisibles18 :
«Le Livre en tant qu’objet, indépendamment des mots
imprimés, peut-il transmettre quelque chose ? Et quoi ?
[…] Normalement, le papier sert de support au texte et
aux illustrations, mais n’est-ce pas ce qui "transmet"
quelque chose […] Si les formats suivent un mode
croissant ou décroissant, s’ils sont interrompus ou, de
toute façon rythmés, on peut obtenir une information
visuelle rythmique, étant donné que tourner la page
est une action qui se déroule dans le temps et participe
donc au rythme visuel et temporel».
Fig13a
Fig.13, Munari Bruno, Dans le brouillard de Milan, Corraini, 1996.
B.Munari a montré avec Les Livres illisibles que l'exploitation de l’aspect matériel du livre peut suffire à donner
du sens à l’expérience du livre. Grâce à des papiers
différents, en calque, en couleur, grâce à des découpes,
des matières spéciales, l’artiste crée un nouveau rythme
dans la narration, en plus de la succession traditionnelle
des pages. La transparence du papier calque associée
à l’opacité de l’encre provoque des surprises.
Le livre devient un espace sensible, nous nous déplaçons
dans le brouillard. Le lecteur croit deviner ce qui va
suivre, mais en tournant la page, de nouveaux éléments
apparaissent. Il n’y a plus seulement de la surface, mais
de la profondeur, d’autres formes de moins en moins
visibles-lisibles. Chaque épaisseur de papier-calque
atténue la distinction des formes et de leur contour.
Le texte joue lui aussi avec l’effet produit par le brouillard
dans une dimension poétique. «Dans le brouillard, le vol
des oiseaux se fait plus court», ce qui traduit littéralement
notre perception: on perd rapidement de vue un oiseau.
Il ne s’agit donc pas d’un livre jouant uniquement sur
des effets visuels, mais aussi d’un livre dont le sens émane autour du rapport texte-image, que des choix plastiques.
En poursuivant notre lecture, nous percevons bientôt
des couleurs "au loin". Plus nous nous approchons,
plus ces couleurs nous révèlent l’entrée d’un chapiteau
de cirque. Les découpes dans les papiers de couleur
nous font entrevoir la suite de l’histoire, ou tout au moins
nous la laissent supposer. L’auteur joue sur des effets
de surprise, mais l’envie est là: tourner la page. Il engage
à continuer la lecture et dès la première page. B.Munari
utilise ce système pour à la fois éveiller une certaine
curiosité et induire le comportement du lecteur.
L’un des principaux intérêts de cet album, comme
d’autres créations de Bruno Munari, c’est qu’il s’appuie
moins sur du texte ou du récit, mais il joue avec des effets
visuels, des jeux de formes et de couleurs, des qualités
plastiques, qui peuvent contribuer à installer chez le jeune
enfant une première expérience du parcours du livre et
d’inciter plus tard à l’acte de lecture.
D’autres albums semblent avoir pour intention d’encourager le jeune lecteur à tourner les pages pour lui montrer
comment ce geste essentiel à toute lecture agit sur le récit
raconté. Pliage, tirette, rabat, trou, sont exploités pour
construire le récit.
Le système de Va-t'en, Grand Monstre Vert! repose
sur la découpe des pages et sur le jeu des couleurs,
des formes et des fonds [Fig.14]. Des pages à fond noir
tant que le monstre n’est pas totalement construit,
comportent des découpes, de plus en plus grandes
de page en page. Elles laissent apparaître des fonds
colorés qui se trouvent dans la deuxième partie de l’album.
Lorsqu’on cesse d’avoir ces découpes sur fond noir, les éléments du visage précédemment construit vont
successivement se confondre avec les différents fonds
de pages colorées et disparaître.
On ne peut imaginer meilleure illustration et mise en
œuvre du geste du lecteur : tourner simplement les pages,
fait apparaître et disparaître le monstre, et cela, autant de
fois qu’il le veut!
.
Le livre donne une matérialité à l’histoire écoute.
Les enfants ont besoin de tourner des pages, regarder
des images en même temps qu’entendre, cela les aide
considérablement à focaliser leur l’attention.
Il existe aussi des livres qui initient l’enfant à la musique,
et je pense ici à mon neveu d’un an dont l’un des livres
préférés est Rock’n’ roll baby! d’Elisa Fouquier [Fig.15].
C’est un imagier de 6 images, avec des extraits des 6 chansons les plus connues des rois du rock'n'roll: Elvis Presley,
Bill Haley, Jerry Lee Lewis, Chuck Berry, Little Richard,
Gene Vincent. L’enfant peut déclencher la musique à l’aide
des mémoires insérés dans le carton. Cet album permet
de découvrir l’univers du rock, du rythme et du swing.
Autour de la voix des différents chanteurs, l’enfant a
le plaisir de découvrir la musique et danser. Ainsi, le livre
met l’enfant en relation directe avec une culture parentale.
Fig15a
Fig 15. Fouquier Elisa, Rock’n’ roll baby, collection "Mes imagiers sonores", Gallimard jeunesse,2017.
Comme on a pu le voir au fil de ces exemples, investis par
des artistes ou designers, la matérialité de l’album apporte
une intensité à l’expérience. Elle amène le lecteur à voir
le livre comme un objet à part entière qui s’adresse aux
différents sens. Sa curiosité est d’autant plus aiguisée que
l’on place des énigmes et des surprises sur son chemin.
Il peut supposer, jouer, découvrir ce qui se cache derrière
les superpositions. Finalement, la grande force de ces
techniques est peut-être d’installer un voile de mystère,
une force d’intrigue qui mène les lecteurs à s’interroger,
peut-être s’émerveiller.
Du rapport texte/image sur l'espace de la page,
à l'enchaînement des images à l'échelle du livre, j’ai tenté
d'évoquer quelques particularités de l'album qui sont bien
loin d'avoir été, ici, toutes abordées. Un album n’est pas
une simple collection d’images, car la narration peut être
suggérée dans la forme même du livre, et c’est par le jeu
des éléments que diverses interprétations sont possibles.
Ces éléments peuvent être compris comme un ensemble
de possibles qui font de l’album un médium si riche.
Ils peuvent montrer les besoins du jeune public mais
aussi, ils sollicitent l’attention de l’enfant, et adoptent le
plus souvent son point de vue et l’invitent à une lecture
active.
Lire un album est bien plus qu’un simple divertissement. C’est à chaque fois, pour le lecteur, une expérience
unique et nouvelle, une occasion de s’engager pleinement
dans sa propre pensée et sa sensibilité.
Expériences du sensible avec l'album
«Quand nos yeux s’ouvrent chaque matin, ils se posent sur un monde où nous avons appris à voir durant notre vie–car ce monde n’est pas de l’ordre du donné : nous le construisons sans cesse grâce à des expériences, des catégorisations, des souvenirs et des relations.»19 Oliver Sacks
Pour qui que ce soit, adulte ou enfant, le fait de pouvoir
toucher un objet influence et enrichit la perception que
l’on s’en fait. Si on passe la main sur un livre, le doigt
enregistre la texture de la couverture, glisse sur la surface
lisse et s’arrête un temps sur les reliefs possibles liés,
par exemple, à certaines techniques d’impression.
À partir de cette information, lisse/avec reliefs, l’œil
accompagne le geste et cherche à comprendre le phénomène, à donner du sens à ces modifications du relief.
Ainsi, on définit les expériences sensorielles comme
un ressenti immédiat, subjectif qui fait réagir le corps
au contact de quelque chose.
Le livre, considéré dans sa matérialité, est un objet
ayant une masse, des dimensions, qui inclut des matières
diverses, et permet une manipulation. Chacune des qualités qui le constitue peut faire l’objet de soins particuliers
et d’investigations.
Depuis le XXe siècle, l’album est devenu un véritable enjeu
éditorial, commercial, culturel, et il est devenu un support
pédagogique et littéraire, parfois livre artistique, ou véritable lieu de création ouvert à tous les publics. Certains
créateurs ont appréhendé le livre dans toutes ses dimensions, y compris les aspects techniques, pour des albums
qui conduisent progressivement l’enfant à passer d’une
approche active et ludique à une approche de lecteur.
Les expérimentations graphiques d’éditions à manipuler et l’émergence des éditions numériques interrogent
les formes et les contenus éditoriaux. Le tangible peut
devenir tactile et interactif, le plan peut devenir volume,
les médias peuvent s’articuler entre eux. Une pluralité
de supports place le lecteur au cœur de l’expérience. Mais comment les sens qui sont engagés apportent-ils une valeur qui n’est pas un superflu ajouté à la lecture?
Le plaisir «de faire» avec les albums d’Hervé Tullet
Hervé Tullet est l’un des auteurs qui incarne cette idée
de manipuler le livre. Les ouvrages de cet auteur,
pour la petite enfance, ont tous pour point commun,
de faire jouer l’enfant avec le livre. On peut citer Un livre,
On joue ? Jeux de doigts ou Couleurs, les illustrations,
les découpes et reliefs des cartonnés invitent l’enfant
à tourner, manipuler et découvrir le livre dans tous
les sens, développant ainsi leur motricité et leur observation des couleurs et des formes. Ils suscitent la curiosité,
la réflexion et l’imaginaire. C’est pourquoi, il retient particulièrement mon attention.
Hervé Tullet, travaillait auparavant dans la publicité et la
communication jusqu’à l’arrivée de son premier enfant
et celle des ordinateurs. En tant qu’illustrateur, il a
expérimenté de nombreux domaines : peinture, affiches,
presse, illustration culinaire,etc. Quand l’ordinateur est
arrivé, au départ, il n’avait pas l’intention de l’utiliser dans
ce domaine. Il voulait réaliser des projets sans utiliser
l’ordinateur systématiquement.
Alors, «Il est vite devenu évident qu'il y avait
des possibilités de liberté et de jeux avec des livres pour
enfants car il y avait encore beaucoup à explorer. Le point
clé a été lorsque j'ai commencé à travailler dans des écoles
et des bibliothèques partout en France et que j'ai découvert
que mon travail pouvait vraiment avoir un impact. Depuis,
je me suis consacré presque exclusivement à la littérature
jeunesse»20, dit-il.
Pour lui, un bébé est une personne qui a vécu des choses
extraordinaires. Il a écouté, ressenti et vécu un grand
nombre de sensations : «La vie quotidienne d’un bébé
est très intense et je pense vraiment que l’enfant et donc
l’adulte issu de ce bébé est profondément connecté à toutes
ces expériences»21. Il essaye donc dans ces livres de rendre
accessible un large éventail de sensations par l’expérience.
Dans les albums de Turlututu [Fig.16], un drôle de héros,
venu d’une planète lointaine, un pays magique, Hervé
Tullet joue avec le lecteur. Dès la première page,
le personnage principal entre en interaction avec l’enfant
invité à suivre ses consignes, et à vérifier l’effet produit
en tournant la page. Il est incité par le narrateur à agir
dans l’histoire, répète des formules magiques, appuient
sur un bouton pour allumer la lumière, ou à cacher
avec sa main le personnage de Turlututu pour qu’il ne
soit pas vu du monstre qui arrive. Ce que l’enfant fait est
partie intégrante du processus qui fait l’histoire. Parce que
l’enfant agit, ce qui vient ensuite a bien lieu: la lumière
revient et Turlututu sort du noir, le monstre ne voit pas
Turlututu et s'en va.
L’auteur met le pouvoir d’imagination de l’enfant au centre
de son récit, qui vérifie (sous le regard de son parent)
sa capacité à agir. À 2 ans, 3 ans, il peut faire fuir le
monstre en disant une formule magique, il peut faire grandir Turlututu à l’envie, il peut faire arriver la lumière dans
une pièce noire, etc. Il a le pouvoir d’aider le personnage
de Turlututu. L’enfant n’est pas seulement celui qui reçoit
(à manger, le savoir, l’organisation des choses), il devient
aussi celui comprend et participe.
Hervé Tullet considère qu’un livre n’est achevé qu’au moment de la lecture. «Le livre est complété par chacun
le lisant à sa manière, le réinterprétant avec sa voix ou sur
papier.» Il souligne l’importance du rôle des parents selon
leur façon de lire. «Plus que l'idée que vous pouvez raconter
une histoire avec de simples lignes et points, je pense que
ce que les gens tirent de mon livre est une expérience
partagée.» 21
Fig 16. Hervé Tullet, Turlututu, histoires magiques, Seuil jeunesse, 2007.
Avec son album intitulé Un Livre , Hervé Tullet a inventé pour les plus petits la tablette avant la tablette numérique. En partant de l’inanimé de la trace et du papier, il permet aux enfants de créer leur propre animation. Avec seulement quelques ronds de couleurs, il offre à l’enfant un terrain de jeu avec le livre. Pencher le livre sur la droite implique que les ronds de la page suivante se déplacent vers la droite. Secouer le livre permet aux ronds de se mélanger à la page d’après. Et il y a là une évidence à ce que chaque geste soit suivi d’un résultat. Tout est orchestré afin de solliciter l'imagination et à la créativité des enfants.
En reprenant la formule d’Umberto Eco, on dirait
dans ce cas «qu’un livre veut que quelqu’un l’aide à fonctionner.» 22 Le lecteur «modèle» doit jouer le jeu proposé
à travers le livre, en répondant à toutes les sollicitations :
celle du livre qui demande des modes d’ouverture particuliers, celle de la page qui suit des mouvements, etc.
En s’inspirant de l’album Un livre, Hervé Tullet a créé
une application Un jeu, pour smartphone et tablette.
Cette application offre un supplément d’expérience et de
surprises, qui approfondit ce qui existait déjà dans l’album.
Un jeu fait passer de l’illusion à l’expérience et permet aux
petits d’explorer et expérimenter à leur rythme.
Au fur et à mesure de leurs explorations, les enfants
dessinent, inventent, font des découvertes sans rythme
imposé. Il n’y a pas besoin de dire à l’enfant ce qu’il peut faire,
il le découvre tout seul. Il a des hésitations, mais, très vite,
il s’aperçoit que certains mouvements, produisent
le même effet à chaque fois. Lorsque des ronds de couleur
se rencontrent, se confondent ou se cognent, sous l’effet
de certains gestes du doigt ou de la main de l’enfant,
ils émettent un son qui varie en fonction de leur couleur.
Progressivement, l’enfant comprend qu’il peut créer
de drôles de bruits, des rythmes, de la musique. Il apprend
à en jouer. Il peut partager avec ses parents une expérience interactive. Sur l’écran apparaissent des consignes
simples que l’adulte peut lire au fur et à mesure:
«tu viens ?», «on joue ?», c’est donc un terrain de jeu
simple et riche exploser un espace sonore graphique
et plastique.
Fig17a
Fig 17. Hervé Tullet,Un livre, Bayard jeunesse, 2007
Les livres d’Hervé Tullet font appel aux sens autant qu’à
la lecture du livre. Ses albums investissent le corps du
lecteur d’une manière particulière, de la prise en main
du livre à sa manipulation. Ils rappellent que nous lisons
avec notre corps. Comme le souligne Roland Barthes dans
Le Bruissement de la langue23 : «La lecture, ce serait le geste
du corps» .
Hervé Tullet considère les tout-petits comme les premiers
artistes. Se situant dans la filiation d'Enzo Mari et
de Bruno Munari qui plaçaient le jeu au centre des apprentissages, il observe les enfants afin de préciser son projet.
Les douze titres24 de sa collection Jeu, fruits d'allers-retours entre lui et l’éditrice, Brigitte Morel25, constituent
une encyclopédie de formes et de jeux avec la lumière
et l'espace de la page. Affranchi, le lecteur fait son choix
lui-même: «À moi de lui donner des pistes, fausses pistes,
recoins pour que lui-même fasse son propre marché.»26
Cette collection est conçue comme un laboratoire d'idées.
Gribouillis, points, tâches : les enfants comprennent,
ils sont familiers de ces formes. L’auteur les utilise comme
un moyen de se connecter facilement avec eux et de
les inciter à jouer avec elles hors du livre.
Il a aussi créé un outil mis au service des médiateurs,
qu’il appelle L’expo idéale qui permet aux enfants d'approcher sa démarche d’illustrateur. Il s’agit d’ateliers dans
lesquels des enfants se laissent guider par un animateur.
Les participants s’installent autour de feuilles de papier
ou devant un mur. Dans un mégaphone ou un micro,
l’animateur donne des instructions qui créent une sorte
de rythme, de moment pour dessiner sur les feuilles.
J’ai eu l’occasion d’appliquer le principe de l’atelier
L’expo idéale d’Hervé Tullet, pendant mon stage en
Erasmus à Bruxelles dans l’association Art Basic For Children. Cette association a pour but d’impliquer des livres,
des activités ludiques, des stations de jeu de travail pour
stimuler l’apprentissage des enfants. Tous les mercredis,
ils accueillent des enfants pour une pratique ou une activité différente préalablement définie.
Un mercredi, avec Francesca, une médiatrice de
l’association, nous avons proposé de travailler à partir
du livre Fleurs [Fig.18 et 19].
Cet album est un leporelloqui encourage à la manipulation. Il se transforme, se plie
et se déplie, se regarde d’un côté et de l’autre, à plat ou debout. De nouvelles formes ou couleurs apparaissent
alors. Le but de l’atelier était de dessiner collectivement
des formes géométriques sous forme de «Jacques a dit»
sur une même feuille. Par exemple: «Prenez la couleur
rouge, puis faites un rond» et ainsi de suite, jusqu’à
ce qu’une feuille commune se remplisse. Ensuite, nous
leur avons demandé ce qu’ils percevaient dans toutes ces
formes. Certains ont répondu un feu d’artifice, d’autres
une flaque d’eau et d’autres encore des fleurs. L’idée était
d’initier les enfants à peindre et à dessiner en groupe tout
en s’amusant. Il a été question aussi de susciter le dialogue
entre le modèle éditorial du livre et les participants pour
leur permettre d’échanger sur l’image, les couleurs,
les formes, et plus globalement inciter à l’art.
Fig18a
Fig 18. Hervé Tullet,Fleurs, Seuil jeunesse, 2007
Fig 19. Photographie de l'atelier Fleurs mené le 11 mars 2020 à l'assotiation Art Basic For Children
Proposer un atelier, c’est concevoir une structure,
un moment dans lequel l’animateur doit participer pour
pouvoir l’activer et aussi le contrôler. Nous avons douté
un moment de la façon de mener l’activité, car les enfants
étaient dissipés. Nous avons finalement compris la place
nécessaire accordée à l’inattendu. Un décalage peut apparaître entre le travail d’anticipation en amont et l’appropriation par les enfants. L’atelier permet de les impliquer pleinement et ils deviennent des acteurs interagissant
entre eux et le médiateur. Ils peuvent même bousculer
ce que nous avions envisagé. Chacun peut alors être
amené à reconsidérer les idées et les outils.
Chacun apprend et échange sur sa pratique de l’image,
mettant les enfants et l’adulte sur un pied d’égalité.
Ils étaient là pour expérimenter, manipuler les formes,
échanger entre eux, dialoguer.
Quant à nous, nous avions au départ, des attentes graphiques pour faire des fleurs comme dans le livre d’Hervé Tullet. Pour ma part, j’avais particulièrement envie que
ce soit équilibré, inquiète de contrôler le résultat final.
Mais j’ai vite compris que ces questions n’avaient pas
vraiment lieu d’être et que cela allait à l’encontre
des objectifs de l’atelier, l’essentiel était la participation
et le moment présent.
Depuis une vingtaine d’années, des professionnels de l’enfance et des lecteurs et lectrices d’associations militantes28 lisent quotidiennement des albums aux tout-petits. Au cœur de ces pratiques de terrain, certains ont collecté au fil du temps de précieuses observations montrant de quelle lecture personnelle et inattendue un enfant, même très jeune, est capable. Leur travail confirme l’intuition des artistes qui ont choisi de prendre l’enfant au sérieux en lui proposant des albums variés et multisensoriels.
La pratique du livre par l’enfant est importante à analyser :
elle commence avant même que l’enfant ne maîtrise
la lecture, avant même que le bébé n’ait la capacité motrice nécessaire à une manipulation experte de l’objet.
Selon Françoise Gouzvinski, psychologue, «L’avantage de l’album c’est qu’il permet une mécanique spécifique.»27 Tout y fait sens et tout ce qui est donné à voir,
à lire, à entendre et à toucher, donne matière à sensations.
Et cette mécanique permet selon plusieurs facteurs,
de participer à l’évolution personnelle de l’enfant.
À l’âge des premiers mots et bien avant, l’enfant baigne
dans un univers de signes et de lettres qui prendront
progressivement un sens lorsqu’il apprendra à lire.
Les bébés touchent, attrapent, soulèvent, tirent, la découverte du livre commence par les doigts. Le geste de la main est l’un des premiers moyens pour explorer le monde. C'est en manipulant que les bébés comprennent directement ce qui est devant et ce qui est derrière, ce qui se voit et ce qui est caché. En glissant eux-mêmes un personnage de page en page, ils se familiarisent en tant qu’acteurs de ce geste avec le sens de lecture des histoires. Ils participent à chaque page, réagissent, montrent du doigt, parfois s’éloignent puis reviennent, posent des questions quand ils peuvent, transformant le livre en un trait d’union avec les adultes.
Le plaisir «de toucher» des albums dans les bibliothèques
Depuis que l’enfant est reconnu comme une personne à part entière, professionnels et adultes accompagnants ont intégré cette donnée pour transmettre au mieux une culture et un patrimoine aux enfants. Un travail est mené par les bibliothécaires pour proposer à ce public spécifique des collections et des services adaptés. Les actions initiées pour promouvoir l’accès au livre de ces tout-petits sont variées, et engagent un grand nombre d’accompagnants différents de la petite enfance. Elles permettent aux tout-petits de s’exprimer, de réagir, et de montrer du plaisir. Des adultes les accompagnent dans leur découverte.
Au sein de la bibliothèque de Portes-lès-Valence, diverses actions ont été mises en place pour accompagner l’enfant dans une expérience sensible de l’album. Florence Michel-Fit-Baron, bibliothécaire, réalise des rencontres telles que «bébés lecteurs» au cours desquelles sont abordés divers thèmes avec les albums. Ces actions menées sont non seulement en direction des tout-petits, mais aussi des passeurs/ des médiateurs : «On peut travailler avec du personnel de la crèche, des adultes assistantes maternelles pour les inciter à faire des lectures aux tout-petits.»28
Les collections
Une prise en compte de ce public consiste pour une
bibliothèque à acquérir et proposer des collections qui
lui sont spécifiquement destinées. A Portes-lès-Valence,
les collections pour les bébés comprennent:
• Des livres de différentes matières : papier, carton (plus
ou moins épais), quelquefois tissu et plastique
• Des livres non narratifs : abécédaires, chiffriers, imagiers
• Des livres d’histoires relativement courtes, au texte et
à la structure narrative simple: des albums sans texte
• Des documentaires traitant très souvent des animaux
• Des revues pour les moins de 6 ans (ex: Picoti, Toupie,
Wakou)
• Des livres de comptines, de chansons
• Des livres audio (de comptines et chansons)
• Des CDs (de berceuses, comptines, ou simplement
musicaux)
La mise en scène de l’espace
Prendre en compte le public des tout-petits, c’est aussi lui
réserver et lui aménager un espace spécifique, adapté
à sa taille, ses mouvements, son agilité — en un mot
ses usages des lieux et des livres.
Dans cette bibliothèque, depuis 2013, l’espace pour
les tout-petits a été réaménagé: «On avait un secteur
jeunesse avec un espace album, mais l’espace «bébé» n’était
pas matérialisé. C’était donc une volonté de faire un coin
qui leur est dédié, où les familles peuvent venir avec leurs
bébés pour lire, mais qu’il soit aussi utilisé lors des événements de bébé lecteurs.»29
Dans cet espace, on trouve:
Un système de rangement des livres au ras du sol, qui
permet aux enfants de se servir eux-mêmes, et même
les incite, en plaçant les livres à la hauteur de leurs yeux
et de leurs mains, à s’approcher, toucher, attraper.
Un tapis de lecture qui à la fois délimite un espace
spécifique, et rend possible la marche à quatre pattes,
la position assise, voire couchée par terre. Ils s’en servent
aussi pour cacher des livres qu’ils vont utiliser pendant
la lecture à voix haute. Un mobilier de petite taille: coussins, banquettes, fauteuils, canapés, poufs, etc.
L’association Art Basic for Children à Bruxelles, considère que la mise en scène de l’espace est déterminante pour créer un environnement d’apprentissage et d’exploration. Selon son directeur, l’aménagement est d’un «minimalisme apaisant, un choix conscient pour ne pas sur-stimuler le visiteur, et ni le sensibiliser à une sensation esthétique.» Les meubles en bois modulables sont disposés et organisés afin d’inviter à la découverte autonome. ABC explique que, «dans un espace pour les enfants, l’éducation et l’enseignement global ont besoin de liberté de pensée, de liberté de concepts et de liberté pour faire d’un bâtiment décrépit une école pour la vie.»30 L’aménagement doit ainsi idéalement intégrer la mobilité des tout-petits, procurer le calme et donner un accès à la concentration pour rendre l’expérience du livre la plus attractive et paisible.
Le rôle de la lecture dans l’apprentissage
Les animations en bibliothèques sont très fréquentes
aujourd’hui, notamment pour les tout-petits, elles permettent de jouer un rôle important dans la dynamique qui se noue autour des bébés.
La bibliothécaire, Frédérique Michel-Dit-Baron explique
«Il est acquis depuis plusieurs années, que plus on fait baigner le nourrisson, qu’on le nourrit avec des livres, plus cela
génère un apport à son développement. Par exemple, être
bercé par un récit stimule les acquisitions du vocabulaire.
Et puis l’importance de ces moments de lectures, où l’ont fait
passer les émotions par le visage : le bébé fait un aller-retour
avec celui qui est en train de lire, et c’est très important.»31
Dans la préface32 du livre Album caché, Patrick Ben Soussan souligne qu’on ne lit jamais au bébé, mais «on lit avec lui». Pendant une lecture, le tout-petit regarde le visage du lecteur, puis le livre, il passe de l’un à l’autre, «comprend qu’il y a là un lien de causalité entre vos yeux qui parcourent la page, les images et le texte qui y figurent et votre voix.» Le langage, l’intelligence se construisent lors des interactions entre l’enfant et son environnement humain.
La psychologue Françoise Gouzvinski a identifié trois
comportements qui lient l’album et l’enfant dans
son développement: imiter, représenter, esthétiser33.
Le premier, c’est celui de l’imitation, par le mimétisme, «faire comme». En imitant, l’enfant essaye, etréessaye l’action qu’il a produite, il peut même corriger,
il invente parfois sans en avoir conscience. En imitant,
l’enfant mémorise une manière de faire et de gérer son
quotidien et ce qui l’entoure. Le jeune enfant répète après
avoir vu ce que dit l’album. À cette étape l’enfant reconnaît
un carré d’un rectangle, mais ne sait pas dire pourquoi.
Lorsqu’il prononce ses premières phrases après 2 à 3 ans,
l’enfant ne mime plus, il fait «comme si», il ne reproduit
plus quelque chose. L’enfant joue, rejoue des scènes de la
vie quotidienne, c’est ce qu’on appelle l’imitation symbolique. Au fur et à mesure, il prend conscience de soi, et utilise le «je» dans le «jeu».
On passe alors au deuxième comportement, de l’imitation à la représentation. La représentation chez l’enfant
est dans l’image. Elle serait un lien entre l’image qui lui est
proposée et l’imaginaire de l’enfant. Par exemple, l’image
dans un album donne les indications sur la nature d’une
action comme le rouge sur un personnage qui pleure de
douleur évoque le sang. La couleur devient évocatrice et
indicative, il y a un aller-retour entre les images et le sens
symbolique des couleurs. L’image peut représenter comme
les mots peuvent décrire une histoire, elle porte la volonté
de signifier quelque chose.
Le troisième comportement serait le sentiment
esthétique et le sentiment du beau. C’est la possibilité
de laisser à l’enfant de s’émouvoir de quelque chose
que d’autres personnes autour de lui n’apprécie
ou n’aiment pas.
Frédérique Michel-Dit-Baron commentait l’exemple
des livres sans texte, où il n’y a que des jeux de transparence, de couleurs et de formes, «C’est plus compliqué à conseiller aux parents, car ils n’imaginent pas ce qu’onpeut en faire alors que les enfants les utilisent beaucoup en
jeu.»34
L’album Coucou de Lucie Félix [Fig.20] repose sur
l’image sans texte, et joue avec la transparence et les
couleurs, Frédérique commente ses expériences : «Passer
sa main derrière une feuille colorée, et découvrir sa main
d’une autre couleur, l’amuse beaucoup».
Fig20a
Fig 20. Lucie Félix, Coucou, éditions Les Grandes Personnes,2018
L’une des valeurs véhiculées par les albums est celle de l’esthétique. Le rapport sensible de la découverte est porté par l’image et de plus en plus exploré par son médium, son support, sa matérialité. Les tout-petits adorent jouer au coucou-caché. Avec cet exemple d’album, les enfants expérimentent ainsi des choses, intériorisent l’apparition et la disparition.
Imiter, représenter, esthétiser : l’objet lui-même, l’album peut susciter ces trois comportements qui participent à la vie de l’enfant, avec en creux les notions d’apprentissage, de mémorisation et de création. Mais toutes ces recherches certifient aussi que plus vous passez du temps avec votre enfant, à faire, à parler, à chanter, à rire, à danser, à jouer, à lire, plus vous l’avez enrichi pour ces apports culturels.
Monter des animations spécifiques
Afin de mettre en lien les tout-petits avec le livre,
la bibliothèque de Portes-lès-Valence comme d’autres,
a mis en place des animations, telles que les «bébés
lecteurs». Elles consistent à partager un moment avec
eux pour leur lire des histoires. Ce temps d’animation est
divisé en deux parties : un temps d’écoute et un temps de manipulation. Un temps d’écoute pour les moins de trois
ans, ne peut se penser et se dérouler de la même façon
qu’un temps pour les grands enfants. Il doit obéir
à un ensemble de règles qui conditionne l’écoute selon
l’attention du tout petit. Ce sont donc des moments de
lecture de courte durée, car les moins de trois ans ont
un temps d’attention limité, autour d’un quart d’heure.
Les livres choisis et puisés dans les collections de la bibliothèque (généralement pas plus de trois) répondent à des
critères particuliers : brefs, à la structure narrative simple,
ils accordent une grande part à la sonorité (répétitions,
rythmes, assonances) ainsi qu’au visuel (grands formats
et illustrations claires).
Une telle animation comporte souvent l’interprétation de quelques chansons, comptines, parfois des jeux
de doigts. Durant le temps de la manipulation, l’enfant est
libre, accompagné d’un adulte, il peut prendre des livres
pour les toucher, jouer ou tendre un livre à son animatrice
habituelle pour demander à le relire.
Selon l’auteur Jeanne Ashbé35 : «L’aspect de la répétition est très récurrent chez l’enfant d’où ce moment-là avec eux». Elle insiste également, dans un entretien36 pour l’Ecole des loisirs sur la nécessité de répéter la lecture
de l’album: «De lecture en lecture, c’est lui qui devient
maître de la situation: c’est un plaisir et c’est ça qu’il
demande en demandant de lire encore et encore la même
histoire, c’est retrouver le plaisir de dominer petit à petit
la situation.» Effectivement, un tout-petit apprend au
quotidien. Chaque découverte (saveurs, couleurs, matières…) est une surprise. Ce second temps ne met pas
en jeu uniquement le texte que l’on raconte à l’enfant,
mais met en jeu son corps : Il rampe, il touche, il regarde.
En explorant, il devient le prolongement du livre.
Plongé dans des livres sélectionnés avec soin par la bibliothèque, colorés, au papier épais ou cartonnés, illustrés,
le bébé ressent du plaisir et grandit. L’animation «bébés
lecteurs» permet d’ouvrir des mondes:(re)découverte
pour les parents ou par des acteurs de la petite enfance
de la créativité et la diversité des albums et du plaisir
de leurs enfants. Comme le tout-petit s’est nourri de mots,
le jeune enfant a pu construire son monde et développer
son imagination. Comme le rappelle Dominique Rateau:
«La lecture est une nourriture»37. Ainsi, «plus on lit, plus
on est avide de découvrir de nouvelles nourritures, d’ouvrir
nos champs de connaissance et de réflexion, d’aiguiser notre
regard»
L’album à travers des pratiques scolaires
Parmi les supports pédagogiques présents à l’école maternelle et dans les premières classes de l’école élémentaire, les albums font sans doute partie des plus répandus et apparaissent comme support privilégié pour appréhender les différents aspects de la littérature de jeunesse.
Le choix des livres
Les enseignants utilisent des ouvrages de littérature
de jeunesse en classe pour des raisons diverses : stimuler
l’imaginaire, servir de point de départ ou de support
à des activités visuelles et tactiles, auditives et vocales,
et s’en servir de prétexte pour aborder une notion, etc.
Virginie Brun, professeure des écoles à la maternelle,
à l’école Saint Apollinaire de Valence, m’a confié qu’elle
choisit les albums selon le thème de l’album, l’intérêt
de l’histoire, le type d’illustrations ou de système qu’il y a dans les albums — ainsi qu’à l’exploitation qu’ils peuvent
en faire en classe: «Je leur montre le plus possible de supports différents pour qu’ils se rendent compte de la diversité
qu’offrent les albums. Parfois, il n'y a que les images, parfois
ils ne voient que les images et leur raconte une histoire.
Mais eux ne voient pas les lettres, etc.»38
Animations avec l’album
Les albums sont très présents à l’école. Ils sont pratiqués
depuis longtemps à la maternelle où ils constituent
le support de nombreuses activités — pour amener l’élève
à s’approprier et progresser dans la maitrise de langue.
En effet, la diversité et la multitude des albums permettent des approches pédagogiques différentes et offrent à l’enseignant la possibilité de choisir l’utilisation qu’il souhaite en faire. Cette diversité rencontre par
le nombre grandissant d’auteurs, d’illustrateurs, voire
d’éditeurs.
Virginie Brun, évoque par exemple, parmi les animations, qu’elle propose souvent à ses élèves, la méthode «Narramus». Cette dernière vise à: «apprendre
à comprendre et à raconter des histoires. On part d’un
album et on séquence page après page la lecture des images
puis du texte. Puis les enfants vont commenter et imaginer
une histoire avec ce qu’ils voient. Puis on le met en scène
avec par exemples sur un tapis d’histoire, ou avec des
marionnettes ou des mimes. Ils vont s’entrainer à raconter
de façon théâtrale leur histoire en autonomie.»39
Cette méthode permet une transmission d’un héritage
culturel à travers les textes lus, un point de départ
à des échanges oraux sur des sujets variés, et familiarise
de l’élève avec l’univers de l’oral.
L’album: une offre diversifiée pour l’enseignant
L’album aurait pour vertu d’apporter des ressources
langagières dans lesquelles les élèves peuvent puiser et
de les initier, à travers des animations spécifiques et de
la lecture de l’enseignant. À l’entrée à l’école maternelle,
on peut observer d’importantes différences entre
les enfants : entre ceux qui n’auront eu aucune ou peu
d’expériences avec le livre et ceux qui en auront eu
beaucoup, entre ceux qui n’auront pas ou peu compris
que le livre n’est pas un objet comme les autres et ceux
qui sauront quel plaisir il peut procurer, et qui y puiseront
un nouveau vocabulaire pour exprimer leurs sentiments.
Prenons l’exemple, de la classe de maternelle de Virginie
Brun, pendant l’année, ils vont travailler sur la notion
des cinq sens. Les enfants vont apprendre à verbaliser
leurs sensations et d’enrichir leur vocabulaire.
Avec le livre La couleur des émotions40, les enfants regardent les différentes couleurs et le but c’est d’aller plus
loin que par exemple «je vois du rouge». Ils doivent arriver
à mettre des mots, des sentiments sur ce qu’ils voient.
De même, cet exercice se pratique avec différents
tissus, ils doivent dire ce qu’ils ressentent quand ils
le touchent. Le livre à toucher joue un important rôle
dans l’exploration de leurs sensations. «C’est vrai que pour
certains, il est très difficile d’exprimer et de voir plus que
la couleur rouge, ils n'arrivent pas à pousser un peu plus
loin. D’autres arrivent vraiment à expliquer leurs émotions.»42 Ces différences se manifestent alors dans
la capacité de certains à anticiper le sens des textes
qu’on leur lit, ou de ceux qu’ils voient, et dans leur
capacité à en faire un récit personnel.
«À cet âge-là, pour l’instant, ils ne savent pas lire,
mais on leur lit des albums pour leur inculquer le plaisir
de lire parce qu’on se rend compte de l’inégalité entre
les familles*»41, de ces histoires lues et racontées à l’école
naît le plaisir, et c’est également le début du processus
au cours duquel l’enfant devient lecteur et conteur au fil
des ans.
Néanmoins, l’apprentissage par le biais d’un album n’est pas uniquement une histoire à lire, c’est aussi un outil pour transmettre des valeurs plus globales de vivre ensemble. Par exemple, «on voit, principalement en début d’année scolaire que, les livres à la bibliothèque sont tous par terre. Alors, il faut prendre le temps d’expliquer qu’un livre, c’est fragile, qu’il faut en prendre soin, qu’on doit être assis, qu’on le pose sur nos genoux, et puis si on en voit un par terre, il faut le ramasser et le ranger»43. Cette notion de collectif est très importante à la maternelle.
Parallèlement, aux cours des interactions entre l’enseignant et l’enfant à propos d’écrits de toutes sortes, l’enfant
se forge une représentation des formes et des fonctions
du langage verbal: «On n’apprend pas la technique
de la lecture. Par contre, on va travailler sur les rimes,
les phonologies avec des comptines, des poésies, les prénoms.
On cherche les sons, et un son, c’est une lettre […] C'est donc
un processus de découverte à la fois du livre et des lettres,
du graphique et des phonèmes. Ensuite, en grande section,
on peut apprendre à décoder les lettres.» Peu à peu, aux
cours de ces trois années de maternelle, l’enfant met en
place toutes ces notions pour se préparer à l’apprentissage
de la lecture en CP.
Au-delà du texte et des illustrations, les ouvrages de
la littérature de jeunesse font appel à de nombreux
systèmes comme des volets, tirets, rabats, pop-up, etc.
Les jeunes enfants non encore lecteurs peuvent percevoir
et comprendre des notions implicites.
Par exemple, dans un album: une petite souris se baladait
dans la neige: «À un moment donné, la petite souris est
cachée. Alors, on la cherche partout, derrière les volets et
les rabats. C’est une certaine curiosité pour les enfants.
Il y a un jeu de cache-cache : elle est dessous et elle est
dessus.» Grâce à ce système, les enfants développent des
notions spatiales comme on peut le voir avec le jeu de
cache-cache.
«Au début l’enfant met juste ses mains devant ses
yeux. Pour lui, on ne le voit plus. Puis, plus tard quand
il comprend ces notions, dans la cour de récré, on
peut le voir qui cherche vraiment à se cacher derrière
quelque chose.»44
Il y a un attrait physique pour les livres à système chez
les enfants car il y a aussi cette idée de geste: Je tire ça,
ça produit ça.
«Il y a les yeux, il y a les oreilles, mais les mains
servent à quelque chose en plus de tourner les pages,
elles peuvent amener à faire quelque chose d’autre
dans l’histoire.»45
Les livres à système permettent à la fois de formaliser
certains mots de vocabulaire car les enfants vont pouvoir
encore plus facilement les imager, et aussi peut être
les aider à visualiser certaines problématiques.
Ce dernier détour par l’utilisation de l’album à l’école
permet de comprendre l’intérêt de l’accès à la littérature
jeunesse pour les tout-petits. Il s’agit d’un enjeu important
dans la prévention de l’illettrisme qui touche de nombreux
adultes. Mais au-delà de l’accès à l’écrit, c’est aussi l’appropriation du langage qui est favorisée lorsque l’enfant
écoute l’histoire qui lui est lue, avec une belle opportunité
d’enrichissement du vocabulaire. L’enfant baigne dans
un environnement culturel qu’il va s’approprier et qu’il
va intégrer. Le livre en fait partie, comme la musique,
les comptines, les images qui décorent les murs du milieu
dans lequel il vit.
Lecture d’albums et parentalité
On n’est jamais trop petit pour lire, quelle qu’en soit
la manière. Lire pour les tout-petits, c’est entendre
une voix, une histoire, toucher, explorer les livres,
voire les mettre à la bouche, les dévorer littéralement.
C’est aussi voir des images et faire des liens entre le livre
et l’adulte, c’est découvrir que le livre a un sens et qu’il est
porteur d’histoires.
Il y a beaucoup de manières de lire, selon les âges,
selon les enfants, mais c’est sûrement aussi un plaisir
commun et partagé. Il ne s’agit pas seulement de favoriser
un apprentissage précoce de la lecture, même si la découverte du livre, très tôt, est un facteur d’apprentissage du
langage. Il s’agit surtout d’un plaisir et d’une découverte
par le livre, par l’histoire et par le langage.
Lecture partagée
Si l’écriture appartient au livre, l’enfant ne peut seul
accéder au sens du livre. L’enfant non-lecteur de moins
de six ans, bien qu’ayant accès à l’image, a besoin de
la participation d’un adulte afin de «lire par l’oreille»46
pour reprendre les termes de Mathieu Letourneux.
Quoi qu’il en soit, le livre de jeunesse reste un support
de la relation parent/enfant. L’espace familial constitue
le premier espace social de partage de lectures d’histoires
avec les tout-petits. Néanmoins, en proposant aux parents
des animations lecture, la bibliothèque en devient
un deuxième, qui vise aussi à favoriser la familiarisation
avec les livres dès le plus jeune âge. Le jeune lecteur
en devenir a besoin de l’appui d’un autre lecteur afin
de découvrir et de parfaire son apprentissage.
L’adulte doit être là afin d’interpréter, de donner
du sens et d’expliquer les mots inconnus à l’enfant.
Alors, les parents ou même les professionnels ont un rôle
essentiel à jouer pour leur faire découvrir le plaisir des
récits et pour maintenir leur appétit et leur curiosité.
Lecture exploratrice
Depuis quelques années, on voit sortir dans les maisons
d’éditions, des livres «magiques», avec des surprises
de façonnage à chaque page. Un pop-up qui se déploie
comme une fleur, un carrousel de cirque qui se regarde
sur plusieurs plans, des cachettes à soulever qui font
apparaître ou disparaître un personnage, des roues
à tourner pour faire jongler un clown, etc.
La relation au livre avec l’enfant est physique: l’enfant
touche le livre, le mordille, l’attrape, etc. En le manipulant
lui-même, il devient acteur de sa lecture, il prend plaisir à la surprise ainsi que l'adulte qui l’accompagne. C'est une
lecture ludique qui se partage. L'adulte n'est plus celui
qui guide un enfant tout à l'écoute dans sa découverte
de la lecture. L'adulte chemine avec l'enfant dans ses
découvertes, rebondissant sur ce que le petit pointe,
reconnaît ou l’intrigue. Ensemble, ils deviennent
des explorateurs du livre.
Dans l’association Art Basics for Children, j’ai eu pour mission de créer un album sur cinq planches en bois. La maison ABC est, en effet, attachée à la création d’un environnement minimaliste en utilisant des matériaux naturels tels que le bois. C’est un choix conscient pour ne pas sur-stimuler le visiteur, et d’autre part attirer son attention sur une sensation esthétique. Ce projet du livre en bois devait rejoindre la collection d’ouvrages de la bibliothèque ABC et le laboratoire interactif et artistique dédié aux jeux, en direction principalement des enfants.
J’ai choisi de créer un imagier sur la vie de l’abeille.
L’abeille attachée à la reliure se faufile entre les pages
pour aller butiner les fleurs, et rejoindre les autres abeilles
dans la ruche, puis repart chercher à manger.
C’est un éternel recommencement. Bzzzzz [Fig.21]
est un album qui raconte une traversée, une épreuve,
une exploration de la vie d’une abeille. L’illustration
du mouvement de l’insecte qui se glisse entre les pages,
participe à développer la motricité de l’enfant. Quand il la
déplace entre les pages, il associe alors les images grâce
à la manipulation.
J’ai cherché à orienter et déterminer la manipulation
au profit du récit. Cet album est régulièrement utilisé dans le cadre de la «Baboes» (l’équivalent des animations
«bébé lecteurs» dans les bibliothèques en France).
Les bébés de 0-4 ans qui s’amusent à déplacer l’abeille
au fil des pages, explorent la représentation du milieu
naturel des abeilles, accompagnés par les parents.
Fig 21. Ensemble de photographie, Livre en bois Bzzz, 2020, à la bibliotèque de l'association Art Basic For Children.
Conclusion
L’hypothèse posée au départ pour entreprendre ce mémoire, soulignait qu’en dehors de la trame de l’histoire narrative d’un album, de l’image et de la lecture d’un album, d’autres qualités favoriseraient la découverte de celui-ci. La place de l’éditeur, celle de l’auteur, de l’illustrateur, et aussi celle du designer, formeraient une combinaison, une cohésion dans le cadre d’un projet éditorial.
J’ai pu mettre en lumière certains enjeux de l’album jeunesse en tentant d’analyser les particularités de l’album, à comprendre son mode de fonctionnement, et particulièrement la capacité des créateurs à inventer des moyens pour faciliter la compréhension de la lecture par l’expérience du sensible. En prenant cette orientation, j’ai pris le parti d’analyser plus précisément la forme de l’album sans approfondir les fonctions de chaque acteur dans la création d’un album.
Ce travail cherche à montrer que tout participe à construire
du sens et invite à construire une autre relation avec
le livre: le rapport texte/image sur l'espace de la page,
l'enchaînement des images, la recherche des matières,
les formats, la mise en page, les jeux de plis, etc.
Il souligne aussi la place du geste: soulever un volet,
manœuvrer un calque, etc., autant d’actions qui mènent
le lecteur à mieux regarder l’image qu’il découvre,
sans perdre de vue sa relation avec le texte. Le regard,
sollicité par les gestes, se fait plus attentif: le lecteur
ne sort pas de l’histoire, il l’approfondit ou tout simplement il la comprend.
Les créateurs de livres de jeunesse transforment
la lecture, invitent le lecteur à jouer, l’obligeant à trouver de nouvelles stratégies de lecture, le contraignant à entrer
dans un jeu d’interrogations, d’hypothèses pour accéder
aux significations. Ainsi dans sa singularité esthétique,
les albums invitent ses lecteurs, à une dimension globale
de l’expérience du livre et de la lecture ainsi qu’une expérience du corps en mouvement.
Je peux mettre en relation ces approches avec le public spécifique qu’est l’enfant en déficience visuelle. Celui-ci n’a pas de contact inopiné avec l’écrit. Il n’a pas connaissances de ces croisements de représentations et de mots, de couleurs, de signes et pourtant les albums illustrés adaptés ont une place de choix dans leurs éveils. Ils offrent un support au langage à l’échange et permettent de montrer à l’enfant aveugle que le monde ne s’arrête pas au bout de ses bras, qu’il se déploie bien au-delà.
Si le support tel que l’album peut, à lui seul, suffire à transmettre des informations, j’ai pu noter que le designer
graphique peut être un acteur pour répondre à une
approche éducative. En effet, si l’on reprend l’exemple
des livres multisensoriels, destinés à des personnes
malvoyantes ou à un contexte spécifique d’utilisation,
la démarche conceptuelle du designer est de prendre
en compte la différence et les multiples modes de
perception du monde, et de les retranscrire avec
des moyens tels que le son, la matière et/ou la texture
afin d’inviter le lecteur à la manipulation et au jeu.
La démarche conceptuelle s’appuie ici sur les principes du design inclusif, aussi appelé design for all47, selon lequel toute personne, sans distinction de capacité, doit avoir les mêmes opportunités d’accéder aux savoirs, aux services et aux produits. Au cours de mes recherches, j’ai rencontré plusieurs professionnels(enseignante, bibliothécaire) qui ont pu me transmettre une partie
de leur expérience avec l’album.
J’ai pu mieux comprendre le rôle de ces ouvrages
dans l’apprentissage et le développement de l’enfant.
L’enjeu de l’album est d’exciter le désir pas seulement
pour la maitrise de la langue mais aussi pour développer
d’autres compétences et connaissances.
La multitude de création de livres pour enfant forme
un corpus, une œuvre collective qui constitue un support
de médiation culturelle. Joliment intitulé par Joëlle Turin
le «triangle magique»48, le livre, l’enfant et l’adulte sont
unis autour d’une histoire qui rendra l’enfant plus riche et
plus fort pour avoir confronté sa vie à celle des histoires
qu’il a entendues ou lues.
L’album est un domaine où tout est encore possible, la création est très riche et remporte un véritable succès chez les familles et les institutions. En face de ce succès, parfois à cause de ce succès, se dressent néanmoins quelques obstacles : plus l’album comporte des «systèmes», plus il coûte cher dans sa fabrication lorsqu’il n’est pas fabriqué localement. En effet, pour être concurrentiel, l’album peut être fabriqué dans un pays où la main d’œuvre coûte moins chère et où les conditions de travail sont bien différentes des nôtres. C’est l’une des contradictions de l’analyse des albums que d’y dénicher au-delà du message qu’ils véhiculent, les reflets de notre monde imparfait.
L’album est né au pays du plaisir. Sa magie ne se révèle qu’à ceux qui acceptent de le regarder avec naïveté. On se laisse surprendre, on touche le livre, on le caresse ou on le «tripote», on prend le temps d’en découvrir le mécanisme et les secrets, on en partage la découverte à plusieurs, et il nous transporte dans un autre monde. L’ensemble des acteurs du monde de la création de livres pour enfants : auteurs, illustrateurs, éditeurs, designers–issus de contextes, de cultures, d’époques et de pays différents, réussissent à s’adresser aux petits et aux grands en leur révélant un univers personnel. Dans un désir éditorial, de réflexion sur le visuel des livres, la typographie, ou l’usage de l’espace du récit, les créateurs traduisent toute une gamme nuancée d’émotions et de sensations éprouvées par les jeunes enfants. À travers la diversité de leurs points de vue, ils répondent à tous les champs de la curiosité enfantine.
Annexe 1
Entretien avec Hervé Tullet Illustrateur et auteur de livres pour la jeunesse. Retranscription de l’échange mené en mail, le 16 novembre 2020.
Vous n’avez pas toujours été illustrateur, pouvez-vous me parler de votre parcours professionnel ? Qu'est-ce qui vous a inspiré pour écrire/ illustrer des livres pour enfants ? Je travaillais dans la publicité en tant que directeur artistique pendant plus de dix ans, puis j'ai senti que je n'étais pas au bon endroit pour vieillir. Je commençais à voir des ordinateurs arriver dans mon domaine et je n'en avais pas une bonne impression à ce moment-là. À l’arrivée de Léo, mon premier-né, j'ai quitté ce travail pour devenir illustrateur. Sans vraiment connaître ce secteur, j'ai décidé de faire un livre pour enfants. Ce domaine n'était pas aussi développé qu'aujourd'hui et dans une certaine mesure, comme beaucoup de créateurs à l'époque, je voulais proposer à mon fils quelque chose de différent à lire. J'ai essayé d'expérimenter dans de nombreux styles différents : peinture, affiche, presse, illustration culinaire, etc. Il est vite devenu évident qu'il y avait des possibilités de liberté et de jeux avec des livres pour enfants car il y avait encore beaucoup à explorer. D'un essai, c'est vraiment devenu une passion. Les multiples possibilités de créer différents styles pour exprimer ses idées, etc. Cela me permet de me sentir utile, en travaillant pour les enfants dans des écoles et des bibliothèques partout en France, et j'ai découvert que mon travail pouvait vraiment avoir un impact. Depuis, je me suis consacré presque exclusivement à la «littérature jeunesse».
Au début de votre carrière, vos albums étaient plus narratifs, puis ils ont évolué vers toujours plus d’interactivité avec les lecteurs, qu’est-ce qui a amené ce changement ? Mon premier livre, «Comment papa a rencontré maman» était d’une certaine façon, très narratif, oui. Mais il a tout de suite installé un dispositif de lecture basé sur la surprise et le jeu entre l’enfant et le lecteur. Très vite, le jeu a pris plus de place que la narration. C’est mon premier vrai succès. «Faut pas confondre» n’est pas un livre narratif. Rétrospectivement, j’ai l’impression de trouver dans ces premiers ouvrages, tous les codes que j’ai développés plus tard. L’évolution la plus importante s’est plutôt faite sur le terrain de l’illustration et de ses codes de l’époque, trop «jeunesse» qui ne me convenaient pas (trait cerné noir et dessin colorié, figuration). C'est en m’en affranchissant avec 5 Sens puis Blop et les Jeux que j’ai vraiment commencé à développer mon univers.
Vous travaillez beaucoup en contact avec vos lecteurs. Comment concevez-vous vos livres ? Où naissent vos livres ? Dans votre atelier ou consécutivement avec ces rencontres ? Je conçois bien mes livres comme des expériences : à lire, à vivre, à partager, à inventer. Je dis souvent que mes livres sont ouverts, pas finis, ils ont besoin du lecteur pour s’achever et donc j’ai besoin d’aller à sa rencontre pour les expérimenter, les voir vivre, grandir et voir leurs développements possibles : ceux que j’avais imaginé (mon livre OH! sur les sons utilisés pour le solfège) et d’autres (une comédie musicale autour d’Un Livre). Dans ce cadre, j’aime beaucoup les réseaux sociaux qui maintenant me permettent de découvrir outes ces expériences et de les partager. Mes échanges avec les lecteurs et la manière dont ils s’approprient mon travail et le réinterprètent m’inspirent forcément. Mais comme tant d’autres choses, etc. Je suis en permanence à la recherche de nouvelles idées. Au quotidien, dans l’art, la musique ou la danse, pendant les workshops que je dirige, etc. J’ai d’ailleurs écrit un livre sur le sujet: J’ai une idée. Une idée pour un livre mature parfois des années, mais dès que j’en saisis l’essence, je ressens une joie, une jubilation que j’ai besoin de partager très vite. Après ça, j’ai tendance à écrire le livre en quelques jours.
Pourquoi utilisez- vous peu de mots, voire aucun, dans vos livres ? Je m’intéresse aux langages, plus qu’à la langue. On peut raconter des histoires avec des taches, des sons des gestes, des mouvements, des regards, des lumières. Il y a tellement de choses qui se racontent sans mots. Les mots souvent sont là, dans les livres, discrets, pour les adultes, qui eux savent lire, pour les rendre complices et leur donner les règles du jeu. Le lecteur enfant, lui, comprend presque tout par l’image. Je me place dans la position du bébé qui possède, lui, tous les langages mais pas la langue et encore moins l’écrit. C’est à lui d’abord que j’ai envie de parler, c’est, j’espère, le bébé qui va me comprendre, c’est lui que j’imagine comme mon premier lecteur.Lorsqu’on découvre vos livres, ils semblent inviter à vivre une expérience, à faire des découvertes.
Pourquoi avez-vous fait ce choix de conception? Pourquoi l'interaction ludique est-elle si importante dans vos livres ? Il y a d'abord et inévitablement la surprise—le jeu de tourner la page, le jeu de l'idée surprenante qui crée un dialogue entre l'auteur et le lecteur, entre le lecteur et le livre, et surtout entre le lecteur adulte et l'enfant lecteur (qui ne sait pas encore lire et qui attend une histoire ou un jeu). J'essaye souvent de créer un jeu entre adulte et enfant tout au long de mes livres. Sur la manière de toucher les enfants, de leur offrir un outil de découverte, j’ai ma propre théorie, c’est une conviction. Voilà: un bébé est quelqu’un qui a vécu des choses extraordinaires, il n’a pas compris grand-chose, mais il a regardé, écouté et connu une multitude de sensations. La vie quotidienne d’un bébé est très intense et je pense vraiment que l’enfant et donc l’adulte issu de ce bébé est profondément connecté à toutes ces expériences. Les bébés peuvent accéder à un large éventail de sensations si on leur donne cette opportunité et c'est ce que j'essaye de faire dans mes livres car je les considère comme les premiers artistes. Dans un sens, j’essaie de les ouvrir à l’art et c’est peut-être pour cela que mes livres plaisent si fortement aux enfants. Ils ne traduisent pas en art, ils sont art. Dans les livres, je cherche très souvent à parler à ce bébé-là, tout en sensations, ouvert aux possibles, cet être dépourvu d’idées préconçues, indemne de toute stratégie, un être dans l’intuition du moment. Qu'espérez-vous que les enfants gagnent à lire votre livre? Quel est le rôle de l’adulte? Quand j'ai fini de concevoir un livre, une fois qu'il a été imprimé, je le considère comme inachevé. Le livre est complété par chacun le lisant à sa manière, le réinterprétant avec sa voix ou sur papier. Pour moi, le livre est toujours au milieu. Il y a un enfant et il y a un adulte et la lecture concerne les deux participants pour partager ensemble une expérience d'égalité. Mon rôle est de créer les possibilités pour eux d'interagir ensemble. C'est ainsi que je conçois mes livres. De plus, je considère mon livre comme «ouvert» car les lecteurs vont inventer le livre par leur propre lecture à travers la réinterprétation. Le rôle des adultes est de leur donner l'opportunité de le faire car jouer est aussi un moyen incroyable d'apprendre et de grandir. Les adultes jouent aussi un rôle énorme dans la façon dont ils lisent mon livre à leurs enfants. Plus que l'idée que vous pouvez raconter une histoire avec de simples lignes et points, je pense que ce que les gens tirent de mon livre est une expérience partagée.
Avez-vous conscience d’avoir participé à proposer une autre vision des albums jeunesse? Des livres qui laissent plus de place aux lecteurs et qui font appel à leur intelligence. J’ai conscience de me situer dans une lignée de pédagogues qui ont mis l’enfant et sa liberté au centre de leur approche et d’artistes qui ont fait des ponts vers l’enfant (Bruno Munari bien sûr, Enzo mari, Paul Cox, Samada Motonaga, ou Léo Lionni dont les papiers découpés pour Petit-Bleu et Petit-Jaune flirtent avec ceux de Matisse) J’ai eu dès le début, l’envie de sortir la littérature jeunesse de son cadre en me référant souvent à la même image mentale pour m’inspirer : celle d’un bébé regardant un mobile de Calder, sa fascination que je me figure faisant le pont entre l’art et l’intuition, la spontanéité qui est le propre d’un enfant. C’est pour cette raison que je me suis sentie à ma place quand des libraires, des enseignants ou des bibliothécaires m’ont appelé pour conduire des interventions, souvent dans des endroits défavorisés. J’ai conscience que ce sont souvent mes premiers lecteurs, plus que les jeunes parents qui ont d’autres choses à faire que de s’intéresser à la littérature jeunesse. La confiance qu’ils m’ont donnée, l’écho positif que j’avais de mon travail et de mes expérimentations dans les classes m’a donné l’envie de chercher encore plus loin. J’en suis très reconnaissant.
Vos livres donnent envie de créer à notre tour. Est-ce un but, en plus d’amuser vos lecteurs, de transmettre un élan créateur ? Je vois les lectures comme des interprétations des livres par le lecteur et celles-ci sont à chaque fois différentes. Comme les codes de mes livres sont assez simples (points, traits, taches, gribouillages), il est presque normal que des gens se soient amusés à réinterpréter ce vocabulaire graphiquement ou pédagogiquement. Ils sont en partie conçus dans ce but. En tant que spectateur, j’aime être inclus dans l’œuvre, pouvoir la toucher, me déplacer dans l’espace. Quand je vais voir un spectacle de danse, je suis heureux si le chorégraphe a prévu de nous faire monter sur scène. J’aime cet art qui intègre le visiteur, le public, le lecteur et c’est ce que j’essaye de faire dans mes livres, mes performances et maintenant avec L’Expo idéale. C’est un projet récent où j’invite tout le monde à créer une expo de moi mais sans moi, dans une galerie, dans un musée, à l’échelle d’un quartier ou d’une classe, voire même chez soi dans le salon ou dans une boite à chaussure. Durant le confinement, des centaines de véritables expos se sont créées avec mes techniques un peu partout dans le monde, chez les gens. Ça a vraiment résonné chez moi comme l’accomplissement de tout ce travail de longue haleine pour pousser les gens à faire de l’art.
Que recommandez-vous de lire, d'explorer et de partager ? Chacun de mes livres explore une nouvelle idée ou un nouvel aspect de mon travail, et ensemble les livres forment un tout, une sorte de logique qui a commencé avec mon premier titre Comment Papa a Rencontré Maman. Des livres d'idées, des livres d'activités, des jeux, des ateliers et maintenant des expositions idéales—ils parlent tous de la même chose, communiquant une envie de jouer, de s'approprier, de s'amuser et d'apprendre.
Annexe 2
Entretien avec Florence Michel-Fit-Baron, bibliothécaire à Portes-Lès-Valence Retranscription de l’entretien mené le 18 novembre 2020 en visioconférence.
Quand vous réalisez des animations du type bébés lecteurs, quel est l’objectif ? On a travaillé sur la question du bébé lecteur à la bibliothèque. En particulier à Portes-lès Valence, on a axé notre médiation autour du bébé lecteur. On a commencé par faire des travaux d’extension en 2013. Dans les choses qu’on voulait absolument, c'était un vrai espace pour les tout-petits, ce qui n’était pas le cas avant. On avait un secteur jeunesse avec un espace album, mais l’espace bébé n’était pas matérialisé. C’était donc une volonté de faire un coin qui leur est dédié et dans beaucoup de bibliothèques, ça marche très bien. Les jeunes parents sont extrêmement sensibles à la question du livre pour les bébés. Il y a bien sûr, cet axe avec les familles. Les parents peuvent venir avec leur bébé pour lire. Ils n'ont plus besoin de dire «non ce n’est pas grave, il ne sait pas lire». Mais ça arrive encore quand on inscrit par exemple une famille à la bibliothèque et qu’il y a un tout-petit (-de 2 ans). On demande si on lui fait une carte et on nous répond encore «Bah non, qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse, il ne sait pas lire». C’est de plus en plus rare, mais bon, voilà, on insiste pour faire des cartes pour les bébés. Nos missions sont en direction des tout-petits, mais aussi des passeurs/des médiateurs. On peut travailler avec le personnel de la crèche, des assistantes maternelles pour les inciter à faire des lectures aux tout-petits. Il est acquis que plus on les nourrit de livres, plus c’est très bien pour leur développement, pour toutes les acquisitions comme le vocabulaire, être bercé par un récit. Et puis les émotions qu’on fait passer par le visage sont très importantes parce que le bébé fait un aller-retour avec celui qui est en train de lire. Tous ces livres sensibles dont vous faites l’étude dans votre mémoire avec ces nouvelles techniques, nouvelles matières, de transparence, de couleurs, etc. Ce genre de livre est, en revanche, plus compliqué à conseiller aux parents, car ils n'imaginent pas ce qu’on peut en faire, alors que les enfants les utilisent beaucoup en jouant par exemple avec la transparence: passer sa main derrière une feuille colorée, et découvrir sa main d’une autre couleur, l’amuse beaucoup. Alors que pour les parents, ce n’est plus une histoire qu’ils peuvent raconter à leurs enfants, car il n’y a pas de textes. Par exemple, il y a un prix des albums sur le territoire qui est porté par le relais des assistantes maternelles. Cette année, pour la première fois, elles ont demandé aux bibliothécaires de participer à la sélection. Nous avons milité pour que Fleurs d’Hervé Tullet soit inscrit dans la sélection, pour qu’il y ait aussi des livres à manipuler. En fait, ce sont des livres que les assistantes maternelles prêtent aux parents pour qu’ils votent en définitive. On trouvait ça intéressant de les pousser vers des choses qu'ils n’empruntaient pas spontanément.
Comment réalisez-vous les animations ? Avez-vous des objectifs, des outils particuliers ? Est-ce qu’il y a un espace ou même du mobilier dédié à cette animation? Je fonctionne beaucoup au coup de cœur. En général, j’essaie de faire un petit fil conducteur entre les albums. J’ai travaillé en collaboration avec quelqu’un qui avait une formation ACCES (Action contrôlée contre les exclusions et les ségrégations). Cette association a beaucoup œuvré avec des malles de livres, et eux sont pour la manipulation des livres par les tout-petits. Elle avait beaucoup travaillé sur les comptines et les chansons. Alors, quand je fais une séance aux bébés lecteurs en général, il y a un album, une comptine, une chanson, un jeu de doigts ou de marionnette. J’essaie d’entremêler tous les genres d’albums pour les bébés jusqu’à 1 an. Ils sont dans leur transat et c’est incroyable de les voir se manifester avec leurs pieds ou leurs bras. On s’adresse directement à eux avec le livre. L’objectif, toujours, est d’avoir un temps de bébé-lectures offert, et un temps de manipulation. Il s'agit de laisser les professionnels de la petite enfance prendre des livres pour les relire ou laisser le tout-petit tendre la main vers un livre à son animatrice habituelle pour qu’elle le lui relise. La répétition est très récurrente chez l’enfant d’où ce moment-là avec eux. C’est pour ça aussi que les petits rituels du début et de la fin sont très importants parce que ça leur donne un repère et un rythme. On utilise aussi beaucoup ces objets pour dynamiser une animation: • Les tapis lecture: ceux de l’association Nourse et la marque L’Ilot Livres-Nourse; ou ceux de Lisette Carpette qui proposent un thème où l’on cache plein d’histoires. • Des Raconte tapis qui racontent une histoire. • Des Kamishibaï, des petits théâtres de papier. Y a-t-il des événements de ce type pour les enfants de 2 à 5 ans, où ils utilisent des livres à expérience sans texte? À la bibliothèque, on fait des lectures une fois par mois, pour les enfants de moins de 6 ans. Bon, c’est un peu large, on devrait faire de 0-3 ans et 3-6 ans, mais on manque de temps. Donc pour l’instant, on s’organise comme cela. On pense vraiment ce moment pour les plus jeunes, ça dure une demi-heure. Et c’est vrai que dans nos choix de lecture, ce sont vraiment des lectures théâtralisées. On peut être à plusieurs, on utilise des petits instruments, on essaye de choisir des albums à chaque fois différents pour ouvrir les champs littéraires. Les livres à expérience marchent très bien pour n’importe quel âge. Ils ne véhiculent pas la même chose selon l’âge. Les pop-ups par exemple, marchent très bien pour les enfants plus âgés. On fait des séances avec des livres d’artistes. En revanche, comme ce sont des livres précieux et fragiles, on travaille avec des gants. Pour le coup, ils adorent ça. À partir du moment qu’on leur explique que ces livres sont fragiles, avec du beau papier, et qu'il faut les manipuler avec précaution, ils adorent. En revanche, les livres comme celui de Bruno Munari ou Little eyes de Katsumi Komagata, on ne les met pas en circulation car ils sont trop fragiles, on les utilise uniquement dans un cadre pour les animations. Certains Komagata, on les met dans une boite d’albums identifiés comme fragiles. Il y a aussi les pop-ups d’Annette Tamarkin, on essaye de les mettre dans les bacs même s’ils ont une durée de vie très courte. Les livres d’Hervé Tullet, on les prête tous, ils sont plus résistants grâce à la conception qui, je pense, est prévue pour ça.
Est-ce que vous auriez des exemples de ce type d’événement où vous faites découvrir des albums hors normes comme, par exemple, les livres d’Hervé Tullet ou de Bruno Munari qui ont fait réagir les enfants ? Qu’est-ce que la lecture et la manipulation a produit chez l’enfant ? Les pré-livres de Bruno Munari, je les ai beaucoup utilisés avec des enfants de +3 ans. Et ces livres sont très fragiles. Effet de surprise, explorations de la matière et ce qu'ils ressentent. Par exemple le petit bouton qu’il y a l’intérieur rappelle aussi leur apprentissage au même moment de s’habiller. Ils cherchent la surprise ou la nouvelle chose à découvrir. Ça ne met pas en jeu que l’aspect. J’écoute un texte, c’est aussi mettre mon corps en jeu. Je rampe, je touche, je regarde. Ils deviennent une partie du livre, ils sont un prolongement du livre pour le toucher. Que retrouve-t-on dans les rayons la littérature jeunesses pour les tout-petits à la bibliothèque? Dans nos collections pour les bébés, on trouve: • des livres de différentes matières : papier, carton (plus ou moins épais), quelquefois tissu et plastique • des livres non narratifs : abécédaires, chiffriers, imagiers • des livres d’histoires relativement courtes, au texte et à la structure narrative simple: des albums sans texte • des documentaires, traitant très souvent des animaux • des revues pour les moins de 6 ans (ex: Picoti, Toupie, Wakou) • des livres de comptines, de chansons • des livres audio (de comptines et chansons) • des CDs (de berceuses, comptines, ou simplement musicaux)
Annexe 3
Entretien avec Virginie Brun, professeure des écoles, à l’école Saint Apollinaire, Valence Retranscription de l’entretien mené le 9 décembre 2020 en visioconférence. Dans quel contexte utilisez-vous les albums jeunesses en classes ? Je m’occupe des petites et des moyennes sections, c’est-à-dire des enfants qui ont 3 et 5 ans. À cet âge-là, pour l’instant, ils ne savent pas lire, mais on leur lit des albums pour leur inculquer le plaisir de lire parce qu’on se rend compte de l’inégalité entre les familles. Certaines familles leur lisent une histoire tous les soirs et donc connaissent ce qu’est un livre, apprennent à écouter, à apprendre être calmes et attentifs. Et dans d’autres familles, malheureusement, il n’y pas forcément cette culture du livre. Et c’est notre travail à l’école d’emmener ces notions qui sont importantes. Pour ces parents qui découvrent avec leurs enfants les albums ramenés de l’école, ils sont surpris de l’engouement des enfants pour les livres et me disent régulièrement: «Jusque-là, c’était nous qui lisions des histoires à nos enfants, mais eux n’étaient pas dans la démarche de prendre un livre». Et on remarque, à la fin de l’année, que les enfants qui sont les moins habitués à l’objet livre, prennent finalement plaisir à lire des livres. Néanmoins, on voit qu’au début de leur apprentissage, les livres à la bibliothèque sont tous par terre. Alors, il faut prendre le temps d’expliquer qu’un livre, c’est fragile, qu’il faut en prendre soin, qu’on doit être assis, qu’on le pose sur nos genoux, et puis si on en voit un par terre, il faut le ramasser et le ranger. C’est un travail d’apprendre à vivre ensemble. C’est une notion importante à la maternelle. Et le livre est un super outil pour inculquer ces valeurs-là.
Y a-t-il un endroit spécifique où les enfants peuvent lire? Lorsque vous lisez une histoire, êtes-vous dans la classe ou ailleurs ? Il n'y a pas de bibliothèques à proprement parlé à l’école. En revanche, dans chaque classe, on a une petite bibliothèque où les enfants peuvent prendre certains livres. Il y a des petits coussins, des tapis, des fauteuils, etc. Mais si, par exemple, un enfant prend un livre et va s’installer à son bureau pendant que d’autres font une toute autre activité, je le laisse faire. Je ne cloisonne pas les espaces. Je leur rappelle juste qu'il faut prendre soin des livres. J’essaie tout au long de l’année que le livre soit très accessible, tout en étant respectueux avec les livres. La bibliothèque est constituée de deux catégories de livres. Il y a des livres en libre-service qu'ils peuvent donc lire dans les temps libres. Régulièrement, la sélection de livres change en fonction des thèmes abordés en classe et des saisons. Et il y a ceux qu’on va leur raconter en classe. Puis une fois lu tous ensemble, les enfants peuvent le regarder de nouveau, mais cette fois-ci en autonomie. On a aussi le coin regroupement où il y a un tapis et où on peut être tous ensemble et raconter des histoires. Ils savent comment ils doivent s’installer, ils ont appris à rester assis, en tailleur et à l’écoute pendant la lecture.
Quels sont les objectifs de ce genre de lecture, sachant qu’à cet âge, ils ne savent pas lire? Est-ce que c’est un support d’apprentissage? Au fil des semaines passées, on apprend à prendre plaisir, à regarder un livre. Ils me disent souvent «je lis mon livre», alors, qu'en effet à cet âge-là, pour l’instant au niveau de la lecture, on n’y est pas du tout. On n’apprend pas la technique de la lecture. Par contre, on va travailler sur les rimes, les phonologies avec des comptines, des poésies, les prénoms. On cherche les sons, et un son, c’est une lettre. Une lettre peut s’écrire différemment: capitale, minuscule, scripte. C'est donc un processus de découverte à la fois du livre et des lettres, du graphique et des phonèmes, pour qu’ensuite, en grande section on puisse apprendre à décoder les lettres. Par exemple: la lettre B chante le «Beuh». Ainsi, on fait de la syllabique, les lettres B+A ça fait «Ba». Ces trois années de maternelle avant le CP sont importantes pour mettre en place toutes ces notions et pour que l’enfant en CP rentre vraiment dans l’apprentissage de la lecture.
Comment faites-vous une sélection devant la multitude d’albums qui existent ? Sur quels albums vous appuyez-vous et pour quels besoins ? Comment procédez-vous pour montrer ces livres ? J’ai une passion pour les livres, alors il y en a plein dans la classe. Je les choisis plutôt au feeling et par rapport aux notions qu’ils peuvent apporter aux enfants. Je leur montre le plus possible de supports différents pour qu’ils se rendent compte de la diversité qu’offrent les albums. Parfois, il n'y a que les images, parfois ils ne voient que les images et nous on leur raconte une histoire. Mais eux ne voient pas les lettres, etc. J’ai deux techniques pour leur raconter les histoires: je prends le livre face à moi, je raconte la page et ensuite je tourne et je leur montre l’illustration. Ou je me mets sur le côté et en même temps que je raconte l’histoire, ils regardent les images. C’est important de montrer la dissociation: il y a un texte et des lettres, il y a une image, pour montrer que ces deux éléments là racontent une histoire. Et il est important de le souligner, mais il y a bien autre chose que les images et le texte dans les albums. Les enfants sont captivés par tous les systèmes que peut contenir un album. On a beau avoir des magnifiques albums avec des superbes illustrations, du moment qu’il y a un autre petit quelque chose comme les pop-ups –lorsqu’on les ouvre, c’est majestueux–, alors je n’ai même pas besoin de leur raconter une histoire, ils sont surpris dès le déploiement du pop-up. Ce système permet à la fois de formaliser certains mots de vocabulaire car ils vont pouvoir encore plus facilement les imager, et aussi peut être les aider à visualiser certaines problématiques. Par exemple, cette semaine, je leur lisais une histoire du Père Noël, celui qui n’avait pas de cheminée. Comment le Père Noël fait-il pour déposer les cadeaux sans passer par la cheminée? Alors, les lutins ont créé une cheminée magique. Avec ce pop-up, ils ont pu voir cette magnifique cheminée qui se déploie sur une double page. J’aime aussi beaucoup les livres où il y a des volets, des tirettes ou des rabats. On va s’en servir pour découvrir quelque chose. Par exemple, dans un album, il y a une petite souris se baladait dans la neige. À un moment donné, la petite souris est cachée. Alors, on la cherche partout. C’est une certaine curiosité pour eux. Il y a un jeu de cache-cache: elle est dessous et elle est dessus et ainsi, on développe des apprentissages sur des notions spatiales par exemple. On le voit avec le jeu de cache-cache, au début l’enfant met juste ses mains devant ses yeux. Pour lui, on ne le voit plus. Puis, plus tard quand il comprend ces notions, dans la cour de récré, on peut le voir qui cherche vraiment à se cacher derrière quelque chose. Il y a aussi le travail de mémoire avec le jeu du Memory où l’on retourne les images pour ensuite retrouver les paires. Et pour revenir au livre sur la petite souris que je leur ai lu, une fois qu’il était en libre accès, ils le lisaient entre eux. Ils sont directement allés chercher la petite souris, ils ne cherchaient plus, ils savaient où elle était cachée. Grâce aux albums, on peut aussi travailler sur la notion des cinq sens. On va beaucoup travailler avec les couleurs et les albums d’Hervé Tullet pour mimer des actions : avec mon doigt je touche et ça va grossir ou inversement. Apprendre à découvrir nos cinq sens, cela veut dire: «oui je vois des choses, mais je vois différents rouges. C’est rouge mais pourquoi est-ce que ce rouge-là, je le trouve plus beau que l’autre ? Et ainsi de suite.» C’est important pour eux qu’ils arrivent à mettre des mots, des sentiments sur ce qu’ils voient, touchent, etc. Ensuite on peut jouer avec le toucher en mettant différents tissus de couleur rouge pour apprendre les différentes matières par exemple. Il y a aussi les livres à toucher qui leur permettent aussi de verbaliser leurs sensations, et d’apporter encore une fois un vocabulaire riche. On expérimente plein de sensations. C’est vrai que pour certains, il est très difficile d’exprimer et de voir plus que la couleur rouge, ils n'arrivent pas à pousser un peu plus loin. D’autres arrivent vraiment à expliquer leurs émotions. Le livre La couleur des émotions, est très riche pour leur expliquer ces notions. Il y a un attrait à chaque fois pour les livres à système car il y a aussi cette idée de geste: je tire ça, ça produit ça. Il y a les yeux, il y a les oreilles, mais les mains servent a quelque chose en plus de tourner les pages, elles peuvent amener à faire quelque chose d’autre dans l’histoire.
Lors d’un entretien avec une bibliothécaire, elle m’a dit qu’il était difficile de conseiller un livre sans texte aux parents pour leurs enfants, notamment car ça les mettait en difficulté et ils ne voyaient pas à quoi ça sert. Qu’en pensez-vous ? Le support écrit pour nous adultes, c’est la facilité. On a juste à lire alors que s’il n'y a que des images, il faut faire marcher l’imaginaire, il faut arriver à créer une narration autour de ces images et ce n’est pas toujours évident. Pour nous en classe, ce n’est pas non plus toujours évident, car chacun peut avoir sa propre histoire, sa propre imagination. En revanche, avec la série des «Oralbums» de l’éditeur Retz, par exemple, il n'y a uniquement que des images. Mais ce sont des histoires connues comme Le Petit chaperon rouge, on connait le fil directeur. On peut alors leur donner. Mais finalement, ils pourraient raconter une tout autre histoire et cela marcherait aussi, il n’y a pas de bonne et de mauvaise réponse. Et je pense qu’en tant que parents c’est plus difficile.
Certains livres comme les livres d’artiste de Bruno Munari ou Komagata sont fragiles, utilisez-vous ces livres-là? Comment gérer vous les livres qui sont plus fragiles que d’autres ? Les livres les plus fragiles, c’est nous adultes qui leur lisons l’histoire et il n’est pas en libre accès dans la bibliothèque de la classe. Par exemple, le livre pop-up du Père Noël dont je vous parlais précédemment, j'ai expliqué aux enfants, qu’il était très fragile et qu’on ne pouvait le mettre dans la bibliothèque. Ils le comprennent facilement. Par contre, s’ils veulent le relire, alors on prend le temps tous ensemble de le lire une nouvelle fois. Cependant des vieux livres pop-up, ou d’autres livres à systèmes déjà abimés par le temps, ceux-là je leur laisse les manipuler, et ils apprennent aussi à prendre soin. Il y a-t-il des animations spécifiques autour de l’album? On va régulièrement à la bibliothèque de Valence, ou d’autres lieux en lien avec la culture à Valence. Par exemple, on a collaboré avec la bibliothèque pour proposer aux enfants un atelier de Kamishibaï. C’est aussi une autre forme de lecture, théâtralisée, très aimée des enfants. En classe, on applique la méthode «Narramus», elle permet d’apprendre à comprendre et à raconter des histoires. On part d’un album et on séquence page après page la lecture des images puis du texte. Ensuite, les enfants commentent et imaginent une histoire avec ce qu’il voit. Puis on la met en scène avec par exemples un tapis d’histoire, des marionnettes ou des mimes. Ils vont s’entrainer à raconter de façon théâtrale leur histoire en autonomie. Ils prennent beaucoup de plaisir à jouer les scènes avec leurs accessoires. Le fait qu’ils s’impliquent, qu’ils se mettent dans la peau du personnage les aident dans la compréhension de l’histoire, la compréhension du vocabulaire. Il y a des apports littéraires qui se font indirectement parce qu'ils utilisent le passé simple par exemple. Les familles apprécient vraiment. Ce sont des choses qu’on fait en classe mais les enfants repartent avec la maquette et ils le racontent avec leur propre réalisation.
Notes
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Diatkine René, Des livres et des récits : avec les premiers mots, La Revue Des Livres Pour Enfants, n°119-120, 1988. ↩
-
Liliane Cheilan, La main et le livre, Revue Hors Cadres n°4, Observatoire de l’album et des littératures graphiques, mars à septembre 2009. ↩
-
BNF, L’album, emblème de l’évolution du livre pour enfants, [En ligne], http://classes.bnf.fr/ ↩
-
FUN MOOC, Il était une fois la littérature jeunesse. Module 1: introduction au parcours du livre, [En ligne], https://www.fun-mooc.fr ↩
-
Isabelle Nières-Chevrel, Introduction à la littérature de jeunesse, Didier Jeunesse, 2009, p.12. ↩
-
Sophie Van Der Linden, L’album, le texte et l’image, 2003, p.59. [En ligne], https://www.cairn.info/ ↩
-
Sophie Van Der Linden, Ibib., p.67. ↩
-
Sophie Van Der Linden, L'album, le texte et l'image, op. cit., p.53. ↩
-
Nieres-Chevrel Isabelle, Narrateur visuel, narrateur verbal, La Revue des livres pour enfants, 2003, n°214, p.75. ↩
-
Boulaire Cécile, Les deux narrateurs à l’œuvre dans l’album: tentatives théoriques,Le parti pris de l’album ou de la suite dans les images, Université Blaise-Pascal, 2009. ↩
-
Durand Marion et Bertrand Gérard, L’image dans le livre pour enfants. Paris, l’École des loisirs, 1975, p.83. ↩
-
Isabelle Nieres-Chevrel, Introduction à la littérature jeunesse, op. cit., p.95 ↩
-
Bader Barbara, American Picturebooks from Noah’s Ark to the Beast Within. New York: Macmillan Pub Co, 1976. Cité dans Van Der Linden Sophie, L’album, entre texte, image et support dans La Revue des livres pour enfants, N°214, p.60. ↩
-
Van Der Linden Sophie, Lire l’album, Paris, L’atelier du poisson soluble, 2006. ↩
-
Elzbietha, L’enfance de l’art, Paris, Editions du Rouergue, 1997, p. 128 ↩
-
Nieres-Chevrel Isabelle, Introduction à la littérature de jeunesse, op. cit., p. 121. ↩
-
La règle des tiers est une aide de composition picturale s’appliquant dans la composition des images telles que les peintures, photographies et dessins ↩
-
Munari Bruno, L’art du design, Éditions Pyramyd, 2012. ↩
-
Oliver Sacks,Voir et ne pas voir, Sacks, 1999, 1e ed. 1993, p.20 ↩
-
Extrait de l'entretien d'Hervé Tullet, illustrateur et auteur de livres pour la jeunesse, mené en mail le 16 novembre 2020. (Annexe 1) ↩
-
Ibib., Extrait de l'entretien d'Hervé Tullet, (Annexe 1) ↩
-
Umberto Eco, Lector in fabula. Le rôle du lecteur, 1979, réédition LGF, 1999. ↩
-
Roland Barthes, Le bruissement de la langue, essais critiques IV, collection Points, n°258, 2015. ↩
-
Tullet Hervé, Jeu de lumière, Jeu de couleurs, Jeu des yeux, Jeu de doigts, 2006, Jeu de construction, Jeu de formes, Jeu de cirque, Jeu de hasard, 2007, Jeu de reflets,Jeu d’ombres, Jeu de voyages et Jeu de piste, 2008, éd. du Panama ↩
-
Brigitte Morel, éditrice, d’abord au Seuil Jeunesse et depuis quatre ans aux éditions du Panama. ↩
-
Francine Foulquier,Le style d’Hervé Tullet, de l’énergie au service d’une idée, N°246, La revue pour enfants, p.147, 2019. ↩
-
Françoise Gouzvinski, Regard sur l’album, Conférence pour Des livres pour la jeunesse, 2014, [en ligne] http://www.deslivrespourlajeunesse.fr. ↩
-
Extrait de l'entretien avec Florence Michel-Fit-Baron, bibliothécaire à Portes-Lès-Valence mené le 18 novembre 2020 en visioconférence (Annexe 2) ↩
-
Ibib., extrait de l'entretien avec Florence Michel-Fit-Baron, (Annexe 2). ↩
-
Art Basic for Children, Une école pour la vie, [En ligne], http://www.abc-web.be/ ↩
-
Ibib., extrait de l'entretien avec Florence Michel-Fit-Baron, (Annexe 2) ↩
-
Dreyfuss Corinne, Album caché, préface de Patrick Ben Soussan, éd. Thierry Magnier,2017. ↩
-
Françoise Gouzvinski, op. cit, Regard sur l'album. ↩
-
Ibib., extrait de l'entretien avec Florence Michel-Fit-Baron, (Annexe 2). ↩
-
Jeanne Ashbé, auteur et illustratrice d'une soixantaine d'albums dont une grande partie s'adresse aux tout-petits. Elle travaille aussi pour la presse et anime des formations à la lecture aux enfants ↩
-
École des Loisirs, Jeanne Ashbé, [En ligne] www.ecoledesloisirs.fr/auteur/jeanne-ashb ↩
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Rateau Dominique, De mots en mots, Bon appétit! La littérature jeunesse a-t-elle bon goût ? Toulouse, France: Érès ↩
-
Extrait de l'entretien avec Virginie Brun, professeur des écoles à l'école Saint Apollinaire de Valence, mené le 9 décembre 2020 en visioconférence.(Annexe 3) ↩
-
Ibib. Extrait de l'entretien avec Virginie Brun. (Annexe 3) ↩
-
Anna Llenas, La couleur des émotions, éd. Quatre Fleuves Eds, 2014 ↩
-
Ibib. Extrait de l'entretien avec Virginie Brun. (Annexe 3) ↩
-
Ibib. Extrait de l'entretien avec Virginie Brun. (Annexe 3) ↩
-
Ibib. Extrait de l'entretien avec Virginie Brun. (Annexe 3) ↩
-
Ibib. Extrait de l'entretien avec Virginie Brun. (Annexe 3) ↩
-
Ibib. Extrait de l'entretien avec Virginie Brun. (Annexe 3) ↩
-
Letourneux, Mathieu, Littérature de jeunesse et culture médiatique dans La littérature de jeunesse en question(s), Rennes, PUR, 2009 ↩
-
Des détails sur la notion de Design for all et sur les mesures actuelles d’accessibilité sont disponibles en consultant le site de la Fondation Design for All ↩
-
Turin Joëlle, Ces livres qui font grand les enfants, éd Didier Jeunesse, p.164. ↩